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18 décembre 1757 ; mettez bien cela dans un coin de votre tête. Prenons garde de nous perdre les uns par les autres. Charité bien ordonnée commence par soi-même, je ne conseillerai jamais au roi de hasarder sa couronne pour l’alliance. Mon avis serait donc de faire la paix et de conclure une trêve sur terre et sur mer. Quand je saurai ce que le roi pense de cette idée, que le bon sens, la raison et la nécessité me présentent, je vous la détaillerai. En attendant, tâchez de faire sentira M. de Kaunitz deux choses également vraies, c’est que le roi n’abandonnera pas l’impératrice, mais qu’il ne faut pas que le roi se perde avec elle. Nos fautes respectives ont fait d’un grand projet, qui les premiers jours de septembre était infaillible, un casse-cou et une ruine assurée. C’est un beau rêve qu’il serait dangereux de continuer, mais qu’il sera peut-être possible de reprendre un jour avec de meilleurs acteurs et des plans militaires mieux combinés. Je vous ouvre mon cœur, mon cher comte, parce que vous avez de l’âme et de l’esprit. Tout ce que je vous dis dans cette lettre n’est que ma seule façon de penser ; elle vous mettra à portée de m’éclairer sur celle de la cour de Vienne, et je prendrai ensuite les ordres du roi. » Bientôt le moment vint d’aborder le roi ; l’Autriche, en ce mois de décembre 1757, avait eu sa journée de Rosbach à Lissa. Bernis trouva Louis XV inébranlable sur l’alliance, prêt à tout risquer plutôt que de la rompre, sans éloignement d’ailleurs pour la paix, à la condition que l’impératrice y consentît. Autorisé, sous cette réserve, Bernis informa l’ambassadeur et lui développa ses raisons, aussi nombreuses que solides, dans les dépêches du mois de janvier 1758. « Nous avons affaire à un prince qui joint à tous ses talens militaires les ressources d’une administration éclairée, d’une décision prompte, et tous les moyens que la vigilance, l’adresse, la ruse et la connaissance profonde des hommes et des cabinets lui fournissent. Ce n’est que par des moyens égaux qu’on peut espérer d’en venir à bout. Le courage qui fait désirer à l’impératrice d’essayer encore dans la campagne prochaine de vaincre son ennemi n’est-il point aveugle ? qu’a-t-elle à espérer de plus cette année que l’année passée ? Ce sont les hommes qui mènent les affaires. Le roi de Prusse sera toujours le même, et les ministres et les généraux qui lui sont opposés lui seront toujours également inférieurs. »

L’Autriche répugnait à la paix : les avantages de l’alliance la dédommageaient amplement des pertes de la guerre. Elle sentait bien que le gouvernement français, même sous Louis XV, ne serait pas toujours disposé à sacrifier ses armées, sa marine, ses colonies et ses finances aux desseins ambitieux de la cour de Vienne, et que ce prodige d’aberration politique ne se renouvellerait pas de long-