Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ner le camérier du pape… Suivant l’usage, j’ai demandé 200 000 livres pour mes nièces, parce que je n’ai point de fille, au moins que je sache. » L’usage a beau les autoriser et même les perpétuer, tous ces règlemens de compte n’ont pas fort grand air au regard de l’histoire. — Les relations de Bernis et de Choiseul ne cessèrent pas en 1758 avec le ministère de l’abbé ; leur correspondance dura jusqu’en 1770, mais pendant ces douze années elle se borne à quelques lettres fort courtes et sans importance. Les unes sont datées de Vic-sur-Aisne, Bernis y donne des nouvelles de sa santé : « on l’a mis au lait d’ânesse et aux bouillons de tortue. » Il y exprime son espoir dans la clémence du roi : « le roi est bon, il ne voudra pas que je sois prisonnier toute ma vie. » D’autres billets sont écrits d’Alby, les derniers viennent de Rome, celui-ci, par exemple, où Bernis annonce son arrivée et note en style négligé ses impressions. « Les Romains et les Romaines me paraissent assez plats, assez maussades, et sont mal élevés. Le matériel me plaît ici plus que le moral, mais il n’y a pas un homme ! et l’ignorance est aussi générale que la corruption ! » En 1770, la roue de fortune a tourné : Bernis, relevé de sa disgrâce, est rentré dans les hauts emplois, le triomphant Choiseul est exilé. Le cardinal-ambassadeur a-t-il rompu tout commerce avec son ancien ami et successeur à dater de ce moment-là ? ou bien a-t-il fait, comme tant d’autres, — du moins par lettre, — le pèlerinage de Chanteloup ? Nous l’ignorons.

À parler juste, leur vraie correspondance, la seule qui intéresse la postérité, avait pris fin le 13 décembre 1758. Nous l’avons analysée, non-seulement parce qu’elle est fort peu connue, mais parce qu’elle nous a semblé répandre une vive lumière sur une époque historique qui a des droits particuliers à l’attention de ce temps-ci. Nous avons vu reluire à chaque page cette vérité, dont la France vient de faire une si rude expérience, qu’un gouvernement atteint de faiblesse et de malaise commet une insigne folie en courant chercher au dehors, dans le risque des aventures, la force qui lui manque. La guerre ne soutient pas les pouvoirs caducs, et n’a jamais arrêté sur le penchant de l’abîme ceux qui s’y précipitent : œuvre de science, de labeur patient et d’habileté consommée, elle demande aux peuples les plus robustes tout leur génie avec toutes leurs vertus ; quel succès peut-elle promettre à ceux qui n’apportent dans ses redoutables épreuves que leur débilité capricieuse et la fatuité de leur ignorance ? C’est l’énergie de l’intérieur qui crée la puissance qu’on voit éclater dans la gloire et la fumée des champs de bataille. La victoire exige et suppose cette vigueur même qu’on se flatte de lui emprunter. La France, en 1757, avait des généraux et des armées bien peu dignes d’elle ; mais les ministres étaient encore au-dessous des généraux. Les aveux de Bernis ont mis à nu