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de Severy, dont le premier nous parle dans ses mémoires[1], Guillaume profita médiocrement de ces leçons exceptionnelles, et ressembla fort peu à son frère Charles, dont l’esprit était si ouvert aux idées nouvelles et même chimériques du siècle. Un touriste suédois, Biornstal, qui le visita en 1774 à sa petite cour de Hanau, assure pourtant qu’il était « grand ami des sciences, et qu’il vivait pour ainsi dire dans sa bibliothèque. » Il avait même écrit de sa propre main des Tableaux de l’histoire de Hanau, de la Hesse-Cassel et de la France, un arbre généalogique des landgraves de Cassel et des comtes de Hanau, une Histoire des Romains depuis Auguste jusqu’à Sigismond, etc. Il prenait plaisir à graver sur cuivre, à sculpter, à tourner, à dessiner des cartes et des plans; mais ce qu’il devait préférer à l’histoire d’Auguste et de Sigismond, c’était de faire manœuvrer les deux bataillons de troupes hanovriennes que le roi d’Angleterre entretenait à Hanau pour le maintien de l’acte de garantie. Une fois soustrait à l’influence de sa mère, l’intelligente et lettrée Marie d’Angleterre, il dut redevenir ce qu’il avait toujours été virtuellement : un maniaque de militarisme et un trafiquant de chair humaine. Après avoir servi sous les drapeaux du grand Frédéric, il en devint, comme tant d’autres, l’inintelligent et fanatique admirateur.

En 1784, le landgrave Frédéric rappela ses trois fils à Cassel et les présenta aux troupes. « On pleura si fort, écrivait Forster, que tous les soldats sous les armes versèrent des larmes lorsque le landgrave proclama son fils Guillaume lieutenant-général de toutes les troupes hessoises. Lui-même pleura longtemps, et tous les princes aussi. Les princes Charles et Frédéric couraient à leurs connaissances parmi les officiers et disaient : Gloire et merci à Dieu ! maintenant nous voici de nouveau tous ensemble. » — Guillaume était peu fait pour comprendre ces épanchemens et ces effusions. Il était au contraire froid calculateur, étranger à toute vaine sentimentalité. Dans tous les grands événemens du siècle, il ne vit qu’une série de bonnes affaires, dans ces soldats si sensibles une marchandise. Il considérait l’art militaire comme une lucrative industrie qui méritait toute sa sollicitude. Il s’occupait à bien affermer ses hommes, à bien placer l’argent qu’il en tirait. S’il tenait tant aux minuties de caserne, c’était pour que ses régimens eussent meilleur air et fussent de plus facile défaite. Lorsqu’il prit le gouvernement, il renonça au luxe, aux frais inutiles. Les marquis français, Luchet, Trestondam, Nerciat, qui avaient été sous son père surintendans de la musique et du théâtre, furent congédiés. L’université de Cassel

  1. M. Saint-René Taillandier, Un prince allemand au dix-huitième siècle, dans la Revue des 1er décembre 1865 et 15 février 1866.