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seulement à une époque récente que le régime des communautés de familles a été réglé par la loi, comme en Serbie par exemple. Ailleurs il n’existe qu’en vertu de la coutume; mais partout les principes sont les mêmes, parce que les traditions nationales sont semblables. Comme le dit M. Utiesenovitch, la reine Libusa pourrait dresser son trône de justice dans toute la Slavie méridionale et prononcer, aux applaudissemens des chefs de village, le même jugement que jadis sur la colline du Visegrad, lors du débat légendaire entre les frères Staglav et Hrudos.

Étudions maintenant de plus près cette curieuse institution qui imprime ici à la propriété foncière une forme si différente de celle qu’elle a prise dans notre Occident. L’unité sociale, la corporation civile qui possède la terre est la communauté de famille, c’est-à-dire le groupe de descendans d’un même ancêtre, habitant une même maison ou un même enclos, travaillant en commun et jouissant en commun des produits du travail agricole. Cette communauté est appelée par les Allemands hauskommunion et par les Slaves eux-mêmes druzina, druztvo ou zadruga, mots qui signifient à peu près association. Le chef de la famille s’appelle gospodar ou starshina. Il est choisi par les membres de la communauté, c’est lui qui administre les affaires communes. Il achète et vend les produits au nom de l’association, comme le fait le directeur d’une société anonyme. Il règle les travaux à exécuter, mais de concert avec les siens, qui sont toujours appelés à délibérer sur les résolutions à prendre, lorsqu’il s’agit d’un objet important. C’est donc en petit un gouvernement libre et parlementaire. Le gospodar a le pouvoir exécutif; les associés réunis exercent le pouvoir législatif. L’autorité du chef de famille est beaucoup moins despotique que dans la famille russe. Le sentiment de l’indépendance est ici bien plus prononcé. Le gospodar qui voudrait agir sans consulter ses associés se ferait détester, et ne serait point toléré. Quand le chef de la famille se sent vieillir, il abandonne ordinairement ses fonctions conformément au proverbe serbe : ko radi, onaj valja, da sudi, « qui travaille doit aussi diriger. » Celui qui lui succède n’est pas toujours l’aîné; c’est celui des fils ou parfois celui de ses frères qui paraît le plus capable de bien administrer les intérêts communs. Les vieillards sont respectés, on écoute volontiers les conseils de leur expérience; mais ils ne jouissent pas de ce prestige presque religieux qui les entoure en Russie. La femme du gospodar ou une autre femme, choisie dans le sein de la famille, dirige le ménage et soigne les intérêts domestiques.

La demeure d’une communauté de village se compose d’un assez grand nombre de bâtimens, souvent construits tout en bois, principalement en Serbie et en Croatie, où les chênes abondent en-