Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

munauté sans mélange ; omnia erant eis communia, dit un ancien chroniqueur.

Les anciennes poésies nationales, dont la découverte à Königinhof en Bohême a donné l’impulsion au mouvement littéraire tchèque, permettent de saisir cette antique constitution de la famille. Dans le poème intitulé Libusin Sud (le Jugement de Libusa), deux frères, Staglav et Hrudos, se disputent un héritage, et cela paraît si monstrueux que la Moldau en gémit et qu’une hirondelle s’en lamente sur les hauteurs du Visegiad. La reine Libusa prononce son jugement. « Frères, fils de Klen, descendans d’une famille antique qui est arrivée dans ce pays béni à la suite de Tchek, après avoir franchi trois fleuves, il faut vous accorder comme frères au sujet de votre héritage, et vous le posséderez en commun d’après les saintes traditions de notre ancien droit. Le père de famille gouverne la maison, les hommes cultivent la terre, les femmes font les vêtemens. Si le chef de la maison meurt, tous les enfans conservent l’avoir en commun et choisissent un nouveau chef, qui dans les grands jours préside le conseil avec les autres pères de famille. »

En Pologne, en Bohême et même chez les Slovènes de la Carinthie et de la Carniole, les communautés de familles disparurent au moyen âge sous l’influence du droit romain, qui, datant d’une époque où la propriété privée est constituée dans toute sa rigueur, devait peu à peu miner l’antique indivision par les décisions hostiles des jurisconsultes. Les Slaves méridionaux échappèrent à l’action du droit romain à cause des guerres perpétuelles qui dévastèrent leur territoire et surtout par suite de la conquête turque. La civilisation fut brusquement arrêtée dans sa marche. Les Slaves vaincus, isolés, repliés sur eux-mêmes, ne songèrent qu’à conserver religieusement leurs institutions traditionnelles et leurs autonomies locales. C’est ainsi que les communautés de familles sont arrivées jusqu’à nous sans subir l’action ni des lois de Rome, ni de celles de la féodalité. Aujourd’hui elles forment encore la base de l’organisation agraire chez tous les Slaves méridionaux depuis les bords du Danube jusqu’au-delà des Balkans. Dans la Slavonie, en Croatie, dans la Voivodie serbe, dans les Confins militaires, en Serbie, en Bosnie, en Bulgarie, en Dalmatie, dans l’Herzégovine et le Monténégro, l’antique institution se retrouve avec des caractères identiques.

Sauf dans les villes et dans cette partie très restreinte du littoral dalmate où l’influence vénitienne a fait pénétrer le droit romain, les vicissitudes de l’histoire qui ont soumis la moitié de l’empire slave de Douchan aux Turcs et l’autre moitié aux Hongrois et la différence des institutions politiques qui ont été la suite de ce partage n’ont point porté atteinte aux coutumes rurales, qui ont continué à subsister obscurément, sans attirer l’attention des conquérans. C’est