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du cœur, dirigeait sa main, alors qu’il lançait cette bourse, croyant simplement s’en débarrasser parce qu’elle le gênait.

La pensée humaine a des replis qu’il faut désespérer de sonder. Nous rendons-nous toujours bien compte des actes que nous accomplissons? Comment un autre prétendrait-il savoir de nous ce que nous-mêmes nous en ignorons? Notre propre vie reste souvent pour nous-mêmes un secret, et nous voudrions parler de celle des autres, l’expliquer, la juger! Confessions de Rousseau, de Goethe, d’Alfieri et de Benvenuto, mémoires du cardinal de Retz, confidences de Lamartine, œuvres d’arrangement et de fantaisie, où la vérité n’apparaît qu’agrémentée d’arabesques! La vérité nue, mais rien que d’y toucher l’effroi vous gagne, tant ce qu’elle aurait à vous révéler contient de sombre, d’affligeant, de coupable et d’abject, et cela pour les plus grands d’entre nous comme pour les infimes! Ce que nous nous figurons d’un grand homme est toujours plus ou moins une sorte de fantaisie dans laquelle nous-mêmes, à notre insu, nous jouons le premier rôle. Involontairement, nous dirigeons dans ce sens toutes nos informations, appuyant sur ce qui nous convient, glissant sur le reste, et donnant par là satisfaction à l’immense besoin d’idéal qui nous possède. Ce n’est point dans leurs actions privées qu’on doit étudier les hommes de génie, c’est dans leurs livres. Il n’y a qu’un chemin pour aller à la découverte d’une belle âme, le sentiment de ce qu’elle a pu avoir de beau. Commençons par aimer le sujet, puis directement abordons-le dans son royaume, la pensée, et tout ce que nous avons à savoir de lui, nous le saurons. Vingt pages de Childe-Harold, de Caïn et de Don Juan m’en disent plus sur le naturel, le tempérament, l’idiosyncrasie de lord Byron que la biographie la mieux fournie. Ces anecdotes, vieilles ou neuves, ces commentaires, ces mémoires, ne font que me replacer toujours devant les yeux le type conventionnel, le poseur, le magot, pour employer le terme de Louis XIV. Je le vois, je le touche et tel qu’on me le donne, ironique, mal content, dégoûté, sentimental, il m’ennuie, me repousse comme ferait un grand enfant gâté, un de ces fils de famille méprisant la vie et ses devoirs, tandis que ce même personnage, dès que vous l’encadrez dans Childe-Harold, aussitôt change d’aspect. Ce n’est pas que certains côtés en soient moins haïssables, mais qui peut s’occuper des faiblesses d’un homme en lisant de pareils vers, auxquels le lyrisme moderne, si grand qu’il soit, ne saurait opposer aucun nom, pas même celui de Lamartine?

L’harmonie est d’ordre divin; les dieux seuls savent par où sauver le cœur qu’ils déchirent. Parmi les poètes, je n’en connais qu’un seul qui possède le don sublime d’apaisement, de guérison, et dont la main à la fois terrible et salutaire sache panser la bles-