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maisons modernes n’ont pas envahi ce vaste espace où tant de débris gisent à quelques pieds sous le sol. Chaque jour le hasard y fait de belles découvertes : une exploration méthodique mettrait au jour des trésors. Quelques cités barbares comme Nadin et Podgrage conservent les monumens les plus anciens que nous ait laissés cette race illyrienne qui occupait, au témoignage de Strabon, la moitié de la péninsule du Balkan, et qui est aussi peu connue que la race thrace, sa voisine et sa rivale. De grands tumulus, le plus souvent composés de pierres, s’élèvent auprès de ces murs irréguliers; ce sont les sépultures de ces barbares. Les origines du christianisme, surtout au centre de la province, sont représentées par une suite de marbres, d’autant plus dignes d’étude que nous sommes ici au point où l’Orient touche à l’Occident, où deux courants d’idées religieuses, différens dès les premiers jours, se rencontrent et parfois se confondent.

Les villes de la Dalmatie possèdent toutes d’anciennes églises; cette noblesse bourgeoise bâtissait beaucoup et solidement. Les Slaves du sud n’ont jamais eu d’architecture religieuse qui leur fût propre; les rares édifices un peu anciens qu’on trouve en Bosnie, en Servie, en Herzégovine, sont des imitations byzantines. Comme l’église grecque, depuis le VIIIe siècle, a proscrit la représentation par la sculpture de la Vierge et des saints, les architectes, respectueux du septième concile de Nicée, ont toujours construit de grandes façades nues, pendant que les peintres décoraient l’intérieur de tableaux conformes aux types sacrés de l’Athos. Sur la côte restée latine, la liberté a été plus grande; le style lombard domine presque partout, mais transformé dans le détail de l’ornementation par le caprice de chaque époque, tantôt surchargé de bas-reliefs qui représentent les travaux de la vie commune, le labourage, l’atelier d’un corroyeur, la chasse au faucon, les épisodes de la Bible, tantôt marqué d’un cachet barbare, sous l’influence de quelque prince de Croatie ou de Raschie qui a voulu faire prédominer son goût dans des œuvres dues à sa générosité. A côté de sculptures maladroites et raides, mais qui ont une expression naïve, même souvent une grâce charmante, on trouve des représentations auxquelles l’art le plus grossier n’est pas inférieur, « des œuvres de cannibales, » comme disait récemment dans une étude sur Zara un professeur dalmate. Le style lombard ici est beaucoup plus varié qu’en Italie; les Dalmates, qui l’ont conservé jusqu’au XVIe siècle, y ont ajouté ce monde de statues que prodiguait notre style occidental au moyen âge. Ce n’est pas qu’il y ait eu de leur part imitation; ils ignoraient nos monumens; dans les deux pays le goût populaire a produit spontanément des œuvres qui présentent souvent de singulières ressemblances. Le dôme de Zara, celui de Trau, œuvres du XIIIe siècle, le