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et, comme on dit vulgairement, deux bêtes noires : c’est le prêtre et l’Anglais. De même qu’on disait autrefois que tout était la faute de Voltaire et de Rousseau, tout est, pour M. Michelet, la faute du clergé et de l’Angleterre. Ce sont les deux traîtres de mélodrames qui viennent troubler dans son histoire les candides élans de son mysticisme humanitaire. « Une main perfide, odieuse, la main de la mort, s’est offerte au parti de la liberté, et celui-ci, pour plaire à l’ennemi (le clergé), a renié l’ami (le XVIIIe siècle). » Voilà pour le prêtre. L’Angleterre de son côté trompait la France « par son faux idéal, » par le prestige de ses institutions « locales, spéciales, insulaires. »

On s’étonne aujourd’hui, à la distance où nous sommes du temps où M. Michelet écrivait ces lignes, de cette haine pour l’Anglais qui a presque entièrement disparu de nos mœurs. Les institutions anglaises ne sont plus l’objet de notre haine, elles le seraient plutôt de notre envie. Où est le temps où nous nous croyions le droit de dédaigner ces institutions, et où nous nous persuadions que nous les avions dépassées ? Lorsque M. Michelet nous dit : « L’Anglais est un outil, le Français est un homme ! » nous n’avons pas à renier cette seconde proposition ; mais à qui aujourd’hui fera-t-on croire la première ?

La haine la plus profonde de M. Michelet n’est pas pour l’Anglais, elle est pour le prêtre. Pour lui, la révolution est essentiellement antichrétienne. Il n’y a que deux grandes époques dans l’histoire de l’Europe : le christianisme et la révolution. Sans doute ces deux grandes doctrines ont un principe commun, le principe de la fraternité ; mais la révolution fonde la fraternité « sur l’amour de l’homme pour l’homme ; » le christianisme la fonde sur une parenté commune, sur une filiation qui, du père aux enfans, transmet aussi bien la solidarité du crime que la communauté de sang. En un mot, le christianisme est tout entier dans deux dogmes : le péché originel et la grâce. La révolution est « la réaction tardive de la justice contre le gouvernement de la faveur et la religion de la grâce. » Par exemple, la révolution, en abolissant la noblesse et l’infamie héréditaire, a protesté contre la grâce et le péché originel.

Tout cela est bien théologique et fort arbitraire. Les peuples protestans, qui ne laissent pas que de faire une large part dans leur théologie au dogme de la grâce et du péché originel, sont néanmoins arrivés de leur côté, au moins quelques-uns d’entre eux, à la liberté et à l’égalité, c’est-à-dire au but précisément poursuivi par la révolution. Sans doute la révolution s’est placée à un point de vue qui n’est pas celui du christianisme, à savoir le point de vue du droit naturel, de la liberté et de l’égalité naturelle des hommes, tandis