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que trop facile d’effrayer un peuple qui a tant souffert. L’évocation des fantômes sinistres fait tout le fond des polémiques dont se remplissent les journaux et dont se couvrent les murs en temps d’élections. Fantômes rouges, fantômes blancs, fantômes noirs, suivant les partis contre lesquels on les évoque, tous menacent également des intérêts prompts à s’alarmer, et sèment d’autant plus aisément l’épouvante qu’ils ne sont pas faits de pures chimères. Les uns, dans ce qu’ils ont de plus affreux, sont des réalités d’hier et seront peut-être, hélas ! des réalités de demain ; ce sont même des réalités présentes, comprimées, non étouffées et toujours prêtes à faire explosion. Les autres rappellent un régime détesté, que repousse ce qu’il y a de plus solide dans nos institutions et de plus vivace dans nos mœurs, mais qui n’est ni entièrement ni universellement désavoué dans le langage, dans les tendances et dans les actes de ceux qui en gardent l’impopularité. Il n’y a manœuvre déloyale ou égarement des imaginations que dans le grossissement et la multiplication de ces trop justes sujets d’alarmes, soit qu’on fasse de tout démocrate un buveur de sang, de tout catholique un suppôt de l’inquisition, ou de tout monarchiste un pourvoyeur du Parc-aux-Cerfs. Par de pareils moyens, on entraîne au vote les plus passionnés dans un sens ou dans un autre ; quant aux électeurs impartiaux, s’ils ne sont pas assez éclairés pour reconnaître l’exagération, ils se laissent prendre à tous les épouvantails, et ne voient de refuge que dans l’abstention.

Beaucoup s’abstiennent encore par un scrupule honorable, mais mal entendu. N’ayant aucun espoir de faire prévaloir leurs opinions propres, pour lesquelles ils ne trouvent, dans leur circonscription, ni des adhérens assez nombreux, ni des candidats d’une orthodoxie suffisante, ils ne veulent pas s’unir à une ou plusieurs autres minorités pour lutter avec avantage contre le parti le plus redoutable. Ils craindraient de s’engager dans une coalition immorale. On abuse beaucoup, dans les luttes politiques, de ce mot de coalition et de l’odieux qui s’y attache. Ce qu’il faut flétrir, c’est une ligue de passions, d’intérêts ou d’ambitions qui n’ont d’autre lien que les mêmes haines ou un égal désir de parvenir, et que n’arrête aucune considération de principes, aucun souci du bien public pour satisfaire ces haines ou pour assouvir ce désir. Telle a été, dans l’histoire d’Angleterre, la célèbre coalition dont Fox et lord North ont pris l’initiative, et dont leur mémoire est justement entachée. Mais que des hommes d’opinions diverses, mettant au-dessus des intérêts ou des idées qui les divisent le sentiment commun des besoins les plus pressans de leur pays, s’accordent dans ce sentiment, cherchent à s’entendre sur les meilleurs moyens de lui donner satisfaction, et ajournent tout le reste, ils font acte de