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impitoyable partout où se montre un casque prussien. À cette profusion insensée de poudre et de munitions, nous répondons à peine ; nous attendons avec le calme de la force que la fatigue et la faim nous livrent ces insensés. Ils ont beau se débattre et mordre avec rage les barreaux de leur cage, ils n’échapperont pas à l’inévitable destin. Leurs soldats sont indisciplinés ou malhabiles ; dans les rares engagemens qui ont eu lieu déjà, ils ont pu mesurer leur impuissance, et si quelque ombre de bon sens pouvait trouver place dans leur cervelle, ils n’attendraient pas une heure pour capituler ; mais ne leur parlez ni de sagesse ni de prudence, car, ainsi qu’ils le disent, s’ils ne peuvent se sauver eux-mêmes, ils veulent du moins sauver l’honneur… Sauver l’honneur ! Que voilà bien un de ces mots français qui peignent un peuple ! Quand a-t-on vu le peuple le plus fort ou le plus habile, celui dont la volonté triompha, dont les desseins réussirent, n’être pas toujours le plus honoré ? Et quel honneur y a-t-il à s’obstiner dans la défaite, à élargir de ses propres mains la blessure par où fuit le sang de nos veines ? La France a toujours aimé à se payer de mots et de creuses formules. Elle se glorifie de représenter l’idée et d’opposer l’idée à la brutalité du fait, c’est une insupportable prétention ; le réel et le rationnel ne sont-ils pas identiques ? N’est-il pas évident que ce qui est doit être ? Chacun de nous représente à son heure un moment de l’éternelle évolution des choses ; l’humanité marche sans relâche, ce qui était nuit devient jour, le fait devient le droit. Nous, les victorieux, nous concourons au développement nécessaire de l’esprit universel ; ce n’est pas la France vaincue, c’est nous qui représentons à un degré supérieur l’esprit en travail, l’idée devenant fait. La guerre, c’est le tribunal sans appel, le peuple qui sait vaincre a droit à la domination suprême. De même qu’une loi fatale condamne ce qui est faible à disparaître, que les êtres débiles et mal nés qui ne peuvent supporter le combat de la vie rentrent dans le sein de l’éternel Cosmos, et servent d’aliment à ceux qui sont créés pour la lutte et le succès, de même les peuples faibles s’absorbent dans les grands, et leur destinée les condamne.

Laissons la France inventer un droit supérieur au fait, en réalité, ce sont les faits qui jugent le droit ; laissons les gens à imagination se lamenter sur le sort des misérables et des opprimés ; occupons-nous de devenir forts, c’est le devoir de quiconque prétend à vivre. Certes les théories sur le droit des peuples, le droit des gens et la fraternité humaine sont de beaux rêves, qu’il convient de développer dans les livres, parce qu’ils entretiennent l’esprit dans la familiarité de l’idéal et qu’ils peuvent d’ailleurs à certains jours favoriser nos desseins ; mais n’oublions pas qu’il y a quelque chose de supérieur aux devoirs réciproques des hommes, tels que les