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un beau vert d’eau qui ne variait plus. La peau se reposait comme le cerveau ; cela eût dû mettre sur la voie d’une découverte qui n’est point faite encore, mais qui devient probable : à savoir que l’activité cérébrale, la pensée, la volonté, quelque nom qu’on lui donne, intervient dans les changemens de couleur du caméléon et les gouverne.

Quant à la cause de ces changemens, la lenteur avec laquelle ils s’opèrent, comparée à l’instantanéité de ceux de la seiche, montre que nous avons affaire ici à un mécanisme un peu différent. En effet, la disposition anatomique est autre. Chez le caméléon, comme chez beaucoup d’espèces animales, le pigment est renfermé çà et là dans de petites masses d’une substance vivante ayant la propriété de modifier sa forme comme ces êtres appelés protées qu’on voit sous le microscope changer constamment de figure, se contracter en boule ou s’étaler en étoile dont les rayons s’allongent tour à tour et se raccourcissent. Ces mouvemens, qui portent le nom de sarcodiques, ont pour caractère constant une certaine lenteur. Si cette substance contient des granulations pigmentaires, elle les entraîne nécessairement avec elle dans ses déformations, elle les étale en une large surface quand elle s’étend elle-même, et les rapproche en sphère quand elle revient à cette forme ; mais alors le point pigmenté est si petit qu’il cesse d’être vu par nos yeux, il est comme s’il n’existait pas, tandis que la rétine en a très bien la sensation quand il se dilate, quoique la quantité de pigment n’ait point augmenté. Qu’on mette au milieu d’une feuille de papier blanc une goutte d’encre large de 2 ou 3 millimètres, à vingt pas on ne la verra point ; on distinguera très bien la tache faite avec l’encre de cette goutte étalée. Le mécanisme du changement de couleur des caméléons et des autres animaux doués de la même propriété est aussi simple que cela. Quand ils pâlissent, le pigment ne s’en va point de leur peau, seulement il se ramasse en sphères trop petites pour affecter notre rétine, qui est au contraire impressionnée par le même pigment en même quantité, mais convenablement étalé.

On connaît également plusieurs poissons sujets à varier de couleur, mais ces changemens n’ont pas obtenu des naturalistes toute l’attention qu’ils méritent. Les Chinois élèvent pour leur plaisir un petit poisson d’humeur batailleuse qu’ils nomment combattant, et qu’on recherche à cause de la variété de coloris qu’il offre suivant les passions qui l’agitent. Sa taille est à peu près celle de notre épinoche : d’un gris pâle, peu marquant au repos, il devient rouge de pourpre avec du bleu et du vert dès qu’on le tourmente ou dès qu’il attaque. On sait que les anciens aimaient à voir les couleurs changeantes d’une lamproie qui meurt, et donnaient ce régal à leurs yeux comme avant-goût du festin où allait paraître le poisson. Chez