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besoins, et cela est si vrai que chaque décret rendu est immédiatement suivi d’un accroissement momentané de demandes ; on voit que beaucoup de déposans attendent le décret mensuel comme une rentrée régulière destinée à subvenir à leurs besoins les plus impérieux. Cette confiance dans les à-comptes réguliers en espèces diminue la demande des bons du trésor ; on en prend 69,660 fr. le 8 octobre, ensuite de moins en moins : 67,000 fr., 42,000 fr., 41,000 fr., 22,000 fr., 19,000 francs, 9,000 fr., 5,000 fr., 4,000 fr., 6,000 fr., et en janvier : 6,000 fr., 7,000 fr., 3,000 fr., 5,000 fr. Il est à noter que, pendant les jours les plus difficiles du siège de Paris, les versemens n’ont pas cessé, quoique amoindris : ils ont été en moyenne de 20,000 à 25,000 francs par semaine, et, qui plus est, des livrets ont été ouverts à 413 déposans nouveaux, bien entendu que les sommes versées par les déposans depuis le 17 septembre 1870 étaient intégralement et à vue remboursables en espèces. On a lieu de penser que les versemens provenaient surtout des domestiques, dont les gages étaient toujours payés malgré la difficulté des temps, et des petits commerçans ou industriels occupés de l’alimentation, qui ont gagné beaucoup d’argent pendant ces quatre mois et demi d’investissement absolu.

La confiance existait donc encore, par le seul fait de ces remboursemens partiels ; peut-être eût-elle été plus marquée, si en octobre le ministre des finances eût consacré le système des à-comptes partiels pour toute la durée de la crise, et eût assuré ainsi les déposans des résolutions droites et bienveillantes du gouvernement. Malgré une application morcelée et incertaine, par décrets successifs, la solution proposée réussit. Le succès, il faut le dire, fut bien moins dû à ceux qui par l’étude et la pratique des institutions financières avaient éclairé la question qu’aux déposans eux-mêmes, qui par leur excellente attitude rendirent facile la mesure conseillée. Oui certes, pendant ces longs mois du siège de Paris, nos ouvriers déposans ont été remarquables par leur intelligence de la situation, leur sens calme, leur dévoûment patriotique, et considérez que ce sont généralement des hommes qui, parvenus, à force de Courage laborieux et de sobriété, à se suffire, ont la fierté de vivre sans lien demander à personne, qu’à la dernière extrémité. Là surtout se trouvent, en temps de crise, ceux qu’on nomme les pauvres honteux, parce qu’ils se résignent et souffrent très souvent ignorés.

L’affaire des caisses d’épargne pendant le siège de Paris est une des pages les plus curieuses et les plus édifiantes de l’histoire de notre temps ; c’est grâce aux ouvriers déposans de Paris que l’institution des caisses d’épargne peut se dire désormais en France à toute épreuve, car quelle épreuve peut-on redouter plus violente et de plus longue durée ? En bien ! à la mise à exécution du décret du 17 septembre 1870, la caisse d’épargne de Paris comptait 245,000 déposans : à 50 fr. en espèces par livret, c’était une somme de 10 à 12 millions de francs qui pouvait être