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par le 3e de hussards. Tout pliait sous le seul poids des Prussiens, qui arrivaient de divers côtés. Dès le soir, ils avaient coupé la ligne de Dieppe, ils étaient presque aux portes de Rouen. A chaque instant, le péril grandissait.

La défense de Rouen restait-elle encore possible ? Ce n’était plus seulement une question militaire, il faut le dire, c’était presque une question d’existence pour une ville ouverte que l’artillerie allemande, facilement maîtresse de positions dominantes, pouvait détruire en quelques heures. Était-on décidé à résister et le pouvait-on ? Dès l’après-midi du 4, le plus émouvant débat s’agitait entre l’autorité militaire et le conseil municipal réuni sous le coup de la débâcle de Buchy. Le conseil municipal, sans reculer devant l’extrémité d’une défense désespérée, offrant au contraire le plus énergique concours, tenait visiblement à ne pas sortir de son rôle, à laisser au chef militaire la responsabilité de la décision suprême. Le général Briand, de son côté, ne cachait pas que les circonstances étaient difficiles, qu’il s’agissait « de mettre en ligne 15,000 hommes contre 40,000 ou 50,000 ; » il ne déclarait pas moins que malgré tout il fallait résister, qu’une ville comme Rouen « ne pouvait se rendre sans tirer un coup de fusil, » que pour lui, « dût-il être seul, il présenterait sa poitrine à l’ennemi plutôt que de reculer, » qu’il espérait que ses troupes le suivraient. La vérité est que de part et d’autre les esprits flottaient entre la révolte du patriotisme poussant au combat et le sentiment de la difficulté, sinon de l’impossibilité d’une défense sérieuse. Les motions se succédaient, on parlait d’appeler la population tout entière sous les armes, de « sonner le tocsin. » Bref, on se séparait le soir après avoir résolu qu’il fallait résister à outrance, qu’on serait au combat le lendemain au point du jour.

Ce n’était pas tout cependant de décider la « résistance à outrance. » A mesure que la nuit s’avançait, la situation prenait un caractère de plus en plus redoutable. Le général Briand finissait par se demander si, avec les forces dont il disposait, il pouvait engager cette terrible partie sur d’informes lignes de défense à peine tracées aux abords de Rouen, s’il ne s’exposait pas lui-même à voir sa retraite coupée par les ponts de la Seine, aussitôt que les Prussiens auraient pris position avec leur canon sur les hauteurs qui dominent la ville. Soldat intrépide, mais obsédé du souvenir des catastrophes militaires qui se succédaient depuis quatre mois de guerre, il ne voulait pas « se laisser prendre dans une souricière, » comme il le disait, et le 5, avant que le jour parût, il se décidait précipitamment à se retirer sur Honfleur avec toutes ses troupes, emmenant les mobilisés comme les autres. Pendant ce temps, le conseil municipal, réuni à six heures du matin, restait seul,