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nécessité. Les grandes causes ne se décident pas ainsi d’un seul coup et par surprise. Ce n’était plus la cause de la réforme des mœurs et de l’église, c’était la cause de l’assujettissement des rois au sacerdoce, la cause de la subordination de la société civile à la société religieuse. Ce n’était plus l’église qui était dans l’état, comme l’avaient proclamé les pères d’un autre siècle, c’était l’état qui était dans l’église, l’église était l’état lui-même, et son pontife était le monarque universel. Telle était la signification de la scène de Canosse, dont le retentissement dure encore[1].

Henri avait reçu l’absolution à la condition qu’il se soumettrait au jugement des princes et des évêques d’Allemagne, et qu’il ratifierait leur sentence, fût-ce même sa déposition ; là se borne l’engagement, sur les détails duquel il a été publié beaucoup d’erreurs. Si le pape voulait passer en Allemagne, Henri lui donnait toutes les sécurités désirables, soit pour aller, soit pour revenir. Cet acte indigna les Italiens, et Henri faillit perdre l’empire par la soumission même à l’aide de laquelle il avait cru le sauver. Les Lombards parlaient de le déposer et d’élire à sa place son fils Conrad. L’empereur, échappé de Canosse, fut donc bientôt livré à tous les regrets de sa fausse terreur et de son humiliation. Il éluda l’exécution de sa parole, et reprit son attitude, en présence des encouragemens italiens. De son côté, Grégoire ne dissuada point de leur dessein les princes et seigneurs allemands qui persistèrent après l’absolution dans leur révolte, et ces princes se réunirent à la diète de Forcheim, au pays de Darmstadt, où ils déposèrent Henri IV, élurent à sa place Rodolphe de Rhinfelden, duc de Souabe, beau-frère de Henri, et lui firent jurer le maintien des libertés germaniques. Grégoire confirma l’élection, et prit ainsi le rôle inverse de la papauté jusqu’à ce jour. Naguère c’était l’empereur qui confirmait l’élection du pape ; aujourd’hui c’est le pape qui confirme l’élection de l’empereur. Informé de l’élection de Forcheim, Henri rétracte la promesse de Canosse, et se prépare à de nouveaux efforts auxquels il est excité par les évêques de Lombardie[2]. Grégoire fut ému de son côté par les manifestations italiennes[3] ; il subissait à son tour un sensible revers de fortune. Les Normands de la Pouille l’inquiétaient ; seule en Italie, la grande-comtesse Mathilde, oublieuse du lien du sang qui l’unissait à l’empereur, soutenait la cause de Grégoire avec une inébranlable constance, méprisant les mauvais

  1. Voyez le célèbre engagement signé à Canosse, la promissio canusina, dans le texte du Registrum, collationné, au Vatican par Giesebrecht et publié par Jafifé. Il diffère peu de celui qu’avait publié M. Perte dans le second volume des Leges, de sa collection, p. 50.
  2. Voyez Giesebrecht, Deutsche Kaiserzeit, t. III, passim.
  3. Voyez Pfeffel, Abr. de l’hist. d’Allemagne, sur 1977-1080, et Gfrörer, t. III.