Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Le lecteur, à cette période du drame, pressent déjà les tragiques péripéties qui se préparent. Toutefois les auteurs japonais, se conformant aux saines traditions de la composition dramatique, ont groupé autour de l’action principale une série d’incidens qui nous font mieux connaître les personnages secondaires déjà entrevus dans ce récit, et nous intéressent à leur sort. Nous retrouvons tout d’abord les fugitifs du château d’Egna, Shimidzou et Vakaïto, réfugiés sur les confins de la province, chez les vieux parens de la jeune femme, qui les ont accueillis ; ils prennent part à leurs travaux, et vivent, heureux jusqu’alors, de l’existence du paysan japonais, pauvre et impuissant à sortir de sa condition, mais paisible et indifférent aux orages qui grondent au-dessus de lui sans descendre dans son humble sphère. Bientôt cependant les tristes nouvelles du château qu’ils ont quitté leur parviennent comme une vague rumeur ; puis des serviteurs lonines de leur ancien prince dispersés dans le pays, auxquels Shimidzou se dévoile, ne lui laissent plus de doute ; ils lui racontent la catastrophe et l’invitent à s’affilier à leurs complots de vengeance. Le jour où il revient porteur de cette triste nouvelle est un jour de deuil pour la cabane, et les regrets des fugitifs redoublent à l’idée qu’ils ont abandonné leurs maîtres dans un pareil moment. Assurément Shimidzou rejoindra ses anciens frères d’armes, et s’efforcera de racheter sa faute par sa résolution ; mais pour s’éloigner, pour vivre quelques mois peut-être en divers lieux sans éveiller les soupçons, il faut une avance de fonds, et dans le misérable intérieur où l’on vit au jour le jour d’une maigre part de récolte on ne trouverait pas une pièce d’argent. Vakaïto, saisie d’une inspiration subite, se rappelle alors que leur fuite a été due principalement à ses prières ; elle déclare que, la plus coupable des deux, elle ne doit pas reculer devant sa part de sacrifices. Que son père et son époux lui permettent donc de se vendre pour un certain nombre d’années au yoshivara de Kamakoura ; c’est le quartier des jeux, des maisons de thé, où sont parquées les courtisanes. Sa beauté, son éducation, assurent à sa famille une somme assez ronde en échange de sa liberté. Tous acceptent avec tristesse, mais sans hésitation, cette suprême ressource. Dans les idées japonaises d’ailleurs, une pareille vie ne doit pas déclasser irrévocablement la malheureuse femme ; viennent des jours meilleurs, son époux pourra la replacer à son foyer, où elle retrouvera la même situation que par le passé. N’a-t-elle pas aussi, pour la soutenir et pour faire accepter son dévoûment, le souvenir