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— Non, monsieur, bien que le roi désire éviter autant que possible une guerre avec l’Allemagne ; mais, la question de principe une fois touchée, le roi ne cédera pas non plus. Il a créé la nouvelle organisation de l’armée, qui doit être admirable, il l’a emporté de haute lutte malgré l’opposition du parlement ; comment voulez-vous qu’il cède dès la première occasion qui s’offrira d’utiliser cette armée pour l’agrandissement de la Prusse ? Quant à la position de M. de Bismarck, elle est solide ; rien n’ébranlera la confiance qu’a le roi en son ministre.

— Et pourquoi ? interrompt encore M. Piétri.

— Parce qu’il est soldat, qu’il porte l’uniforme de la landwehr. Ceci compte plus que vous ne pouvez le croire. M. de Bismarck est soldat, il traversera les champs de bataille aussi tranquillement que s’il s’asseyait à son bureau. Le roi le sent bien parce qu’il est soldat lui-même. De là sa confiance.

— Qu’est-ce que dit le peuple ? Selon les voix de la presse, il n’est point favorable à la guerre.

— En. effet, répond M. Hansen, on craint une défaite, et la myopie qui prévaut chez les membres de l’opposition est cause que l’on croit que M. de Bismarck veut la guerre seulement pour sortir de l’impasse où il s’est censé fourvoyé.

— Mais, reprend M. Piétri, ne serait-il pas périlleux pour la Prusse de commencer la guerre à l’heure même où l’opposition se lève pour la condamner ?

— Je crois, réplique froidement M. Hansen, que l’opposition se taira dès la première bataille gagnée ; chaque pas fait vers l’unité de l’Allemagne rendra populaire la guerre qui aura conduit à ce but.

— Vous croyez au succès de la Prusse ?

— J’y crois, répond M. Hansen d’un ton ferme. La puissance de la Prusse est concentrée, celle de l’Autriche est affaiblie, privée du vrai lien, l’unité dans le commandement. A mon avis, une politique prévoyante doit calculer ces chances-là

— Vous parliez d’abord de l’agrandissement de la Prusse ; de quoi croyez-vous donc qu’elle s’empare, si la victoire lui reste ?

— De tout le nord de l’Allemagne sans doute. Le peuple lui-même exigera les conquêtes les plus étendues après que le sang prussien aura une fois coulé. Ce qu’on peut attendre de la Prusse doit être demandé avant la guerre ; une victoire, et l’on ne fera plus de concessions à Berlin.

L’empereur se lève, et salue M. Hansen en disant : — Je suis bien aise, monsieur, d’avoir fait votre connaissance ; ce sera toujours pour moi un bonheur d’être utile à une nation qui sait inspirer à ses membres tant de patriotisme.