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chefs-d’œuvre légués par les siècles, — ou bien les critiques vives, violentes même, qu’il a déjà suscitées, sont-elles légitimées par la médiocrité ou la pauvreté des résultats obtenus ? L’importance exagérée qu’on avait attribuée d’avance à l’entreprise, la pompe des paroles dont on s’était servi pour en annoncer la prochaine réalisation, expliquent, sans les justifier, ces critiques. Nous comprenons l’espèce de déception que bien des gens ont dû éprouver en visitant ces salles incomplètement garnies encore, et que l’administration des Beaux-Arts, si elle prétendait à un succès populaire, aurait mieux fait de n’ouvrir qu’à l’époque où elle se serait mise en mesure de les montrer tout à fait pleines ; nous ne rétractons rien des observations que nous suggéraient il y a un instant quelques choix fâcheux, quelques rapprochemens équivoques, en un mot l’incertitude apparente d’un plan qui devait avant tout être conçu et se développer avec une netteté parfaite ; mais il serait aussi contraire à l’équité qu’au bon sens de contester l’utilité que peuvent avoir la plupart des exemples qu’on nous présente, la grande majorité des souvenirs qu’on a évoqués. Il ne serait pas moins injuste de croire, sur parole ceux qui, sans y avoir regardé de fort près peut-être, se sont hâtés de déclarer infidèles ou négligées ces copies de toute origine et de tout âge ; nombre d’entre elles au contraire attestent le talent sérieux, la bonne foi, les louables efforts des artistes qui les ont faites. N’eussent-ils d’ailleurs d’autre avantage que de soustraire une partie de notre école contemporaine aux séductions ou aux influences frivoles en lui donnant pour tâche la reproduction d’œuvres sévèrement inspirées, des travaux de cette sorte seraient assurément très opportuns. Et quant au public, accoutumé en général à ne juger de la peinture que sur les spécimens exposés chaque année au Salon, il ne sera pas superflu pour lui de consulter sous le même toit les ouvrages fort différens sans doute qu’on vient d’y réunir. En face de ces monumens de l’art véritable, il comprendra peut-être par le contraste ce qu’il y a de mensonger ou de vain dans les petites habiletés de métier ; il apprendra à ne plus être le complice ou la dupe des succès à bon marché, à exiger de quiconque prétend le conquérir des preuves de talent plus solides, des gages plus sérieux que les simples tours d’adresse ou les contrefaçons de la réalité vulgaire. Il saura enfin, par l’expérience de son intelligence et de ses yeux, qu’en se renouvelant dans la forme, suivant les époques et les pays, l’art au fond reste immuable dans les lois qui le régissent, dans les principes, qui le constituent, et que, si le temps est bien passé d’un Giotto ou d’un Raphaël, d’un Michel-Ange ou d’un Titien, rien n’a disparu, rien n’a péri des vérités que ces grands maîtres ont mises en lumière et des devoirs qu’ils. nous ont légués.


HENRI DELABORDE.