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tour. La mêlée, sans être bien longue, n’a pas laissé d’être meurtrière. Il y a eu un certain nombre de morts, — les uns disent une quinzaine, d’autres disent trente, — et un plus grand nombre de blessés. Alors l’émeute a cédé le terrain pour ne plus recommencer ; elle n’aurait pas pu se renouveler en présence des renforts qu’on s’est hâté d’appeler de Hombourg, de Mayence, et de l’occupation militaire des principales positions de Francfort. Des scènes du même genre se sont produites depuis peu à Manheim et dans quelques autres villes, sans avoir toutefois autant de gravité.

Par un procédé de tactique ordinaire, les partis se renvoient la responsabilité de ces agitations. Les conservateurs accusent le gouvernement d’aider au développement des passions révolutionnaires par sa politique dans les affaires religieuses. Les partisans du gouvernement accusent les conservateurs, ultramontains, séparatistes, de n’être point étrangers à ces troubles, et en définitive la vraie cause est peut-être dans une situation économique qui devient de plus en plus pénible pour les classes ouvrières par le renchérissement de tous les objets nécessaires à la vie, dans des souffrances que les agitateurs révolutionnaires et socialistes peuvent exploiter. C’est ainsi que l’émeute de Francfort passe pour être l’œuvre des chefs de la secte lassalienne, qui auraient poussé au combat des masses exaspérées par l’élévation du prix du pain, de la bière. Le travail socialiste et révolutionnaire existe assurément en Allemagne, il est organisé, il se manifeste non-seulement par des grèves, mais encore par une presse spéciale qui prêche ouvertement la haine des classes, la destruction de la propriété, par toute sorte de publications où se déploie le radicalisme le plus violent. En réalité, cette propagande aurait sans doute bien moins d’action, si les souffrances n’étaient pas aussi grandes, s’il n’y avait pas ces conditions économiques qui ont produit depuis longtemps un phénomène caractéristique en Allemagne, cet immense mouvement d’émigration déterminé par le besoin d’échapper à la misère et aussi à la dureté des obligations militaires. La guerre et la conquête ont leurs charmes pour les gouvernemens ambitieux. Les populations allemandes n’en ressentent que les contre-coups douloureux, et elles font ce qu’elles peuvent pour s’y soustraire. Elles émigrent, elles fuient la misère et la vie du soldat. C’est un fait à constater et qu’un statisticien allemand remarquait il n’y a pas longtemps : le nombre des émigrans avait sensiblement diminué il y a une dizaine d’années ; la guerre de 1866 le relevait aussitôt. En 1868, le chiffre des émigrans était de 118,000 ; après la guerre avec la France, en 1872, il a dépassé 180,000, et il semble devoir être plus considérable encore. Ce mouvement ne s’arrêtera pas sans doute devant des paroles comme celles qu’un général prussien aurait prononcées, assure-t-on, dans une commission chargée d’examiner une loi sur la création d’une caisse des