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invalides de l’empire. « Avant que le dernier invalide de la guerre française soit enterré, aurait dit ce général, nous aurons eu d’autres guerres sanglantes qui auront fait de nouveaux invalides. » On ne dit pas que M. de Bismarck fût là pour encourager ces paroles, qui, dans tous les cas, ne sont pas faites pour ralentir le mouvement vers l’Amérique. Ainsi l’émigration d’une part, les propagandes socialistes d’un autre côté, c’est là ce qu’on pourrait appeler le revers de la médaille pour l’Allemagne, la contre-partie d’une gloire militaire qui ne suffit ni à retenir les Allemands dans leur patrie, ni à diminuer les souffrances de ceux qui restent, ni à supprimer le danger des agitations intérieures.

Veut-on voir ce que devient un pays livré aux passions des partis extrêmes, se débattant dans l’incohérence des révolutions sans issue ? L’Espagne est là : elle ressemble à un navire désemparé qui ne peut plus se diriger, qui ne sait plus où trouver un port de refuge. L’Espagne n’a plus d’assemblée, ce qui en tenait lieu vient d’être supprimé tout simplement par la force, et la nouvelle assemblée constituante dont on a décrété la convocation, qui va être élue d’ici à quinze jours on ne sait trop comment, se réunira dans des conditions assurément bien difficiles, si tant est qu’elle puisse se réunir. Y a-t-il un gouvernement à Madrid ? Il y a des ministres, une apparence de pouvoir, il n’y a point un gouvernement réel, puisque celui qui existe est réduit à sentir tout le premier son impuissance, à souffrir tous les désordres, toutes les violences qui s’accomplissent dans les provinces, et à vivre de l’appui de toute sorte de forces anarchiques qui le compromettent en le soutenant. Il n’y a plus d’armée, ce qui en restait s’en va tous les jours en morceaux ; l’indiscipline a gagné tous les corps, sauf peut-être la garde civile qui représente la gendarmerie. Les soldats se mutinent à chaque instant, n’obéissent plus à leurs chefs, et si quelque général veut faire acte d’énergie, comme cela vient d’arriver en Catalogne, il n’est pas soutenu par le gouvernement de Madrid. L’organisation militaire est à peu près détruite ; on a fait récemment quelques tentatives pour reconstituer l’artillerie, dont la dissolution a été le dernier acte du roi Amédée, et ces tentatives ont été abandonnées sur une sorte d’injonction venue des pouvoirs populaires de Barcelone. Partout règne et s’étend une confusion véritable sous l’apparence d’un fédéralisme qui n’est guère que le déguisement d’une décomposition croissante. En réalité, l’Espagne est partagée entre une sorte de démocratie fédéraliste qui s’impose au gouvernement lui-même, qui s’établit en maîtresse dans les grandes villes, et les carlistes, qui tiennent la campagne dans le nord.

Que devient cette insurrection carliste, qui reste un des premiers dangers de l’Espagne ? Assurément, si elle avait représenté une idée politique à demi populaire au-delà des Pyrénées, elle aurait trouvé dans les circonstances actuelles tout ce qui pouvait le mieux la servir, elle