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Les Syllabus et les jésuites ne peuvent porter atteinte à cette glorieuse constitution de la liberté religieuse, qui a pour considérant la grande parole de Jefferson : « attendu que la vérité est grande et forte, elle n’a pas besoin de protection. » Nous sommes encore loin de cet idéal dans notre vieille Europe ; gardons-nous au moins d’en prendre le contre-pied. Il est faux que sous le régime moderne on ne puisse résister aux empiétemens de l’église que par l’oppression ; qu’on relise les entretiens intimes de M. de Cavour avec son secrétaire, le chevalier Artom, sur ces questions délicates et qui se présentaient d’une manière si grave et si irritante dans l’Italie nouvelle. Le grand ministre développait un plan admirable qui devait aboutir à l’affranchissement de l’église pour le plus grand bien de l’état ; il voulait même se montrer très large dans la constitution de la propriété ecclésiastique sans tomber dans les inconvéniens de la mainmorte. Il était préoccupé du désir d’éviter les fautes de la révolution française, qui se renouvellent sous nos yeux. Il faut choisir aujourd’hui entre l’école de Cavour et celle de M. de Bismarck.

Qu’on y fasse bien attention : en suivant la politique d’oppression, on forge des armes redoutables pour la démocratie extrême, qui saurait bien s’en servir le jour où les folies conservatrices la mettraient au pouvoir. Nous ne comprenons pas qu’on ne se hâte point de mettre la foi religieuse au-dessus des atteintes de la souveraineté populaire en la plaçant en dehors de la compétence de l’état. En ceci comme en bien d’autres choses, l’empire d’Allemagne a donné des leçons à la démagogie. Il lui enseigne aujourd’hui l’omnipotence du pouvoir civil pour briser les résistances incommodes ; elle s’en souviendra. Qu’au moins le parti libéral dans toutes ses fractions comprenne la leçon que nous donne la Prusse, qu’il déclare bien haut que l’on n’a jamais le droit de retirer la liberté, même aux ennemis de la liberté, sans renier son principe et sans courir au-devant des plus graves périls et des plus révoltantes iniquités. Nous ne voulons pas désarmer l’état, même vis-à-vis de la religion, qui doit être renfermée strictement dans son domaine ; mais nous n’en repoussons pas moins ce honteux système de prévention qui, sous prétexte de salut public, viole les premiers droits. Si nous nous plaçons au point de vue des périls possibles de telle ou telle tendance religieuse, nous ne nous lasserons pas de frapper sans savoir jamais si nous avons frappé juste, nous ne sortirons pas de ces calculs de la peur, qui n’ont aucune base fixe. Il vaut mieux demeurer fidèles aux principes et tenir les yeux attachés sur notre étoile polaire, qui est le droit souverain de la conscience.


EDMOND DE PRESSENSE.