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Toutes ces règles étaient si simples, si justes, si clairement comprises et si universellement acceptées qu’elles ne pouvaient pas donner lieu à des contestations. Les luttes qui éclatèrent entre les rois et leurs leudes eurent pour objet les donations en alleu bien plutôt que les concessions en bénéfice. Plusieurs rois essayèrent en effet de reprendre ce que leurs prédécesseurs avaient donné à perpétuité ; ces prétentions furent repoussées au nom du droit, et les rois furent contraints à plusieurs reprises de signer une confirmation générale des dons qui avaient été faits par leurs prédécesseurs ou par eux-mêmes. Tel est le sens des fameux articles qu’on lit dans le traité d’Andelot et dans l’édit de 615. Ce que d’ailleurs on ne voit jamais, c’est que les leudes aient demandé aux rois de changer la nature des bénéfices ; jamais roi ne déclara qu’ils seraient héréditaires. Tels ils étaient sous les premiers Mérovingiens, tels on les retrouve sous Charlemagne. Les règles qui les régissaient ne furent modifiées ni en ce qui concernait les concessions royales, ni en ce qui concernait celles des particuliers. Il n’était pas possible que l’aristocratie attaquât ces règles, car ce fut au contraire sur elles qu’elle fonda sa propre force ; c’est par elles, ainsi que la suite des événemens le montre bien, qu’elle grandit et qu’elle régna. Si elle les avait combattues, comme on le dit quelquefois, elle aurait travaillé contre elle-même. Sans elles, elle n’aurait eu aucune force, elle n’aurait même pas existé ; les événemens auraient pris un autre cours, et l’on ne voit pas comment le régime féodal aurait pu s’établir.

C’est en effet par le bénéfice et non pas par l’alleu que la propriété aristocratique et féodale s’est constituée. On se tromperait beaucoup, si l’on pensait que ce bénéfice fût le plus souvent une concession faite par le riche au pauvre, par le grand au petit. Le contraire était plus fréquent. Nous avons déjà vu que dans les derniers temps de l’empire romain beaucoup de petits propriétaires mettaient leurs champs « en patronage, » c’est-à-dire les plaçaient sous le domaine éminent d’un homme que sa richesse ou ses fonctions publiques rendaient puissant. Ils n’en étaient plus réellement propriétaires et n’en jouissaient qu’à titre de bienfait. Les empereurs condamnaient sévèrement cette sorte de pacte ; mais les mœurs et les nécessités étaient plus fortes que les décrets impériaux. Cette sorte d’attraction de la petite propriété par la grande se continua sous les rois mérovingiens. On vit se multiplier alors une sorte d’engagement que l’on appelait d’un nom tout romain l’obligation de la terre, obligatio terrœ, et qui s’accomplissait en trois actes distincts. Par le premier, le petit propriétaire faisait l’abandon complet de son champ. « Je donne et livre, disait-il, cette terre