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que je tiens d’héritage, que j’ai en alleu ; je. la transmets en votre propriété perpétuelle pour que vous en usiez en toutes choses suivant votre volontés » Dans un second acte, il implorait le nouveau propriétaire pour qu’il lui rendît ce même domaine en bénéfice. « Je vous adresse une supplication, écrivait-il, afin que votre bonté m’accorde de tenir cette même terre par votre bienfait. » Enfin un troisième acte était rédigé par le nouveau propriétaire, qui écrivait : « Vous occuperez ma terre en vertu de mon bienfait ; vous n’aurez le droit ni de la vendre ni d’en aliéner aucune partie ; vous m’en paierez un cens de telle somme ; après votre mort, elle rentrera dans mes mains sans que vos héritiers y puissent prétendre[1]. » Par cette série d’opérations, un alleu s’était changé en bénéfice ; le droit de propriété sur la terre avait été transporté du pauvre au riche, du faible au fort, et l’ancien propriétaire n’était plus qu’un bénéficiaire.

Cette sorte de pacte fut renouvelée sur toutes les parties du territoire pendant trois siècles, et ce fut la source. de la plus grande partie des bénéfices, On a cru que les bénéfices, qui plus tard et après quelques modifications devinrent les fiefs, étaient les terres de l’ancien fisc impérial concédées et reprises tour à tour par les rois. Les nombreux diplômes des rois mérovingiens, les actes de testament des particuliers, les vies des saints, tout donne à penser que les rois donnèrent plus en alleu qu’en bénéfice, et que, s’il n’avait tenu qu’à eux, la possession bénéficiaire n’aurait pas tardé à disparaître. Si elle fut toujours en progrès durant ces trois siècles, c’est qu’à mesure que les dons des rois la diminuaient, elle se reconstitua d’une autre façon. Elle se développa bien moins aux dépens du domaine royal qu’aux dépens de la petite propriété. Des deux côtés également, l’aristocratie s’enrichit et prit vigueur.

Les lois féodales n’ont assurément pas été formulées durant l’époque mérovingienne ; elles ont pourtant leur source première dans le bénéfice de ce temps-là Déjà le précaire romain, par cela seul qu’il était un acte extra-légal, soumettait le concessionnaire à la volonté du concédant et le plaçait inévitablement dans cette sorte de sujétion qu’on appelait alors la clientèle. Le bénéfice devait avoir les mêmes effets, car il était, comme le précaire, en dehors du droit. Il y a cette singularité bien remarquable dans les codes germaniques de ce temps-là qu’ils ne connaissent que la propriété ou l’alleu et paraissent ignorer la possession bénéficiaire.

  1. Formules, édit. de M. de Rozière, n°, 331, 339, 356. Quelquefois le premier acte est dressé sous la forme d’une vente (no 332). Comparez les Traditiones San Gallenses : nos posthac exuti de omni re paterna revestivimus Wolframnum monachum per tribus diebus et tribus noctibus, et PER BENEFICIUM ipsorum monachorum reintravimus, no 49.