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épaisse couche d’êtres vivans ! Après avoir doublé à distance les côtes de la France, de l’Espagne et du Portugal, le navire arriva le 6 août à Gibraltar. Ici les rôles furent changés : à M. Jeffreys succéda le docteur Carpenter. L’investigation physique et zoologique du détroit devait être poursuivie avec un soin minutieux. Il s’agissait de résoudre un problème important : comment agissent les courans entre les deux mers et quel est le rapport de la faune de la Méditerranée avec celle de l’Atlantique ?

Le Porc-Epic repartit de Gibraltar le 15 août. Les conditions thermales des eaux, le degré de salaison et de gravité spécifique, furent autant d’indices qui mirent sur la voie des découvertes[1]. Un appareil très curieux pour déterminer le mouvement des ondes au-dessous de la surface est la current drag, inventée par le capitaine Calver, et qui sert, comme l’indique le nom, à draguer les courans. Qu’on se figure une longue corbeille avec deux paires d’ailes ou de voiles, Grâce à ce mécanisme, la corbeille, doublée de grosse toile, et qui naturellement se remplit d’eau, présente une surface de résistance uniforme au courant qu’elle parcourt. A la partie inférieure de cette drague s’attachent deux poids de 112 livres anglaises chacun, et l’ensemble de l’appareil est soutenu par des cordes qui se relient à un anneau central. Le tout se trouve suspendu, a une forte ligne (terme de marine). On abaisse l’une des chaloupes du vaisseau ; deux hommes y descendent avec l’appareil, qu’ils laissent alors s’enfoncer dans la mer à la profondeur voulue, puis ils remontent dans le bâtiment. La chaloupe, ainsi abandonnée à elle-même, n’est pas pour cela maîtresse de ses mouvemens ; elle doit compter avec la brise qui caresse ses flancs, mais surtout avec l’action composite des courans marins qui s’étagent les uns sous les autres. Quel moyen a-t-on maintenant de juger ce qui se passe dans un élément inaccessible à nos moyens directs d’observation ? Si la chaloupe à laquelle est suspendu l’appareil se meut dans la même direction et avec la même vitesse que le courant de la surface, il y a tout lieu de croire que la couche d’eau dans laquelle flotte la drague est douée d’une action qui coïncide avec celle de la superficie. Le bateau marche-t-il lentement, on doit supposer que le milieu dans lequel plonge la corbeille est ou stationnaire ou animé d’un léger mouvement en sens inverse.

  1. Les eaux de la Méditerranée se distinguent de celles de l’Océan non-seulement en ce qu’elles sont beaucoup plus chargées de sel, mais aussi en ce qu’elles contiennent à l’état de suspension beaucoup plus de molécules de matière solide. Ceci peut paraître étrange à ceux qui ont vu la Méditerranée et qui ont pu juger par leurs yeux de la transparence de cette mer bleue, cœruleum mare, comme disaient les anciens. Le ciel poussiéreux de Marseille en est-il pour cela d’un azur moins foncé dans la belle saison ?