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Sicile. Bientôt on fut en vue de Syracuse, et sur l’arrière-plan s’accusait en vigueur la masse imposante de l’Etna. Après avoir mouillé à Gibraltar pour faire du charbon et avoir recommencé de très curieuses expériences sur la température, la densité et la direction des différentes couches d’eau, les explorateurs dirent adieu au bassin de la Méditerranée. Ils revenaient à la fois désenchantés et satisfaits. Les recherches pratiquées dans le champ de la zoologie durant cette seconde croisière n’avaient point répondu à leur attente ; mais ils se consolaient aisément d’un tel échec, car ils avaient déterminé les conditions physiques de ce grand lac (la Méditerranée), et déchiré le voile qui cachait encore en partie le mystère des courans dans le détroit de Gibraltar. Le 8 octobre 1870, l’expédition abordait à Cowes (Angleterre), après deux mois d’absence, pendant lesquels s’étaient accomplis en Europe plus d’événemens qu’il n’en faudrait pour remplir un siècle. Comment se défendre ici d’un triste rapprochement entre les victoires de la force et celles de l’esprit ? Pour un Français, quelle source amère de réflexions et quels pénibles souvenirs ! Tandis qu’une armée prussienne s’avançait contre la civilisation avec sa lourde artillerie, laissant sur son chemin la désolation et le carnage, un groupe de savans anglais, ayant déclaré la guerre à l’inconnu, poursuivaient tranquillement sur les mers des conquêtes qui ne coûtent ni une goutte de sang ni une larme à l’humanité. De retour à Londres, le docteur Carpenter, après chaque expédition, lut, soit à la Société royale, soit dans d’autres institutions savantes, une série de mémoires sur l’ensemble de ses travaux et de ses découvertes. Sans entrer dans le domaine exclusif et spécial de la science, le voudrais dégager de ces recherches les résultats généraux qui intéressent la géographie des mers et la philosophie de la nature.


II

La mer est un monde : elle a ses lois, ses températures, son système de circulation, ses montagnes et ses profondes vallées, ses vastes provinces dont elle fixe à son gré les limites et qui sont habitées par d’innombrables êtres vivans. Pour connaître ce monde des eaux, il ne suffit point d’interroger la surface. Les vents, les rayons du soleil, les différences de latitude, en un mot toutes les influences de notre planète agissent à la superficie des vagues ; mais jusqu’où cela va-t-il ? Qu’on plonge plus avant, et l’on rencontrera des climats intérieurs, des climats sous-marins tout à fait indépendans les uns des autres et n’ayant aucun rapport avec les conditions de l’atmosphère. Telles parties de l’océan semblent à certains jours de l’année dans un état de calme absolu :