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A sept heures du soir, les bricks et les canonnières ouvrirent le feu sur les batteries qui défendaient cette partie de la côte. Les Grecs ripostèrent, et pendant toute la nuit la canonnade se prolongea « un peu au hasard, » Le lendemain 3 juillet, à la pointe du jour, par un temps magnifique et un calme parfait, les bateaux à rames jetèrent sur deux points différens de la baie une masse de troupes qui, soutenues par le feu nourri des bâtimens, refoulèrent sans peine le cordon de palikares auquel on avait confié la surveillance plutôt que la défense des crêtes. Assaillans et défenseurs, tous se précipitèrent pêle-mêle vers une petite batterie. La lutte s’engagea sur ce point, et devint bientôt acharnée ; pendant plus d’un quart d’heure, on vit simultanément arborés sur les parapets le pavillon turc et le pavillon grec. Enfin ce dernier drapeau disparut ; le pavillon turc flottait seul.

Ce n’était qu’un échec, mais cet échec devint le signal d’une inconcevable déroute. En proie à la panique, les Grecs se retirèrent sans ordre et avec la plus grande précipitation vers le sud de l’île, ne prenant que le temps de tout brûler sur leur passage. La brise cependant s’était élevée du nord-ouest. Le capitan-pacha en profita pour donner l’ordre aux frégates et aux corvettes le plus à portée de doubler la pointe septentrionale de l’île et de pénétrer dans le canal d’Anti-Psara. Une population éperdue entraînait en ce moment vers le port les soldats qui auraient pu tenter encore de la défendre. Dix ou douze bricks chargés de fugitifs venaient d’appareiller : les frégates et corvettes d’avant-garde chassèrent ces bâtimens et les canonnèrent longtemps à petite distance. Vivement serré par deux frégates, un brick dut son salut à un stratagème qui montrera jusqu’à quel point les Turcs avaient habitué leurs ennemis à compter sur leur simplicité. Ce brick se couvrit tout à coup d’une épaisse fumée. « C’est encore un brûlot ! » se dirent les deux commandans des frégates, et d’un commun accord ils levèrent la chasse, ne croyant pouvoir s’éloigner ni trop tôt ni trop vite d’un bâtiment qui allait immanquablement sauter. Dès que les marins grecs eurent vu leurs persécuteurs à distance, ils étouffèrent la flamme qu’ils avaient si à propos allumée et continuèrent de se sauver à toutes jambes. Bien peu d’habitans avaient pu trouver place sur ces premiers navires ; pour ceux qui n’avaient pas encore quitté les rivages d’Ipsara, la mer n’était plus une issue, elle ne pouvait leur offrir que le choix du trépas. Amenée par le vent du nord, la flotte de Khosrew occupait le canal d’Anti-Psara ou environnait l’île. Une multitude de petits navires et de bateaux non pontés cherchaient à s’échapper dans toutes les directions. Les bâtimens turcs tiraient sans pitié sur les fuyards, les canots leur donnaient la chasse, et les arnautes, enivrés par le