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comprenaient alors un vaisseau portant le pavillon de Khosrew, vingt-cinq frégates, vingt-cinq corvettes, cinquante bricks et goélettes, près de trois cents transports. Les Grecs s’étaient arrêtés au mouillage de Patmos ; ils ne pouvaient opposer à ce formidable armement, où se trouvaient rassemblés 50,000 marins et soldats, deux mille cinq cents canons, que soixante-dix voiles et huit cents bouches à feu d’un calibre généralement impuissant. C’est avec une telle disproportion de forces qu’ils allaient cependant livrer, non plus des combats d’avant-garde, mais des batailles rangées. L’histoire maritime n’a peut-être pas de page qui soit pour un marin plus digne d’intérêt.

Le 5 septembre 1824, Miaulis appareilla de la rade ouverte de Patmos. Un détachement, composé de dix-huit navires de guerre et de six brûlots, précédait le gros de sa flotte. Les Turcs mirent également sous voiles et se rangèrent en bataille dans le golfe. La brise était fraîche ; le vaisseau du capitan-pacha, en virant de bord, perdit son grand-hunier et sa vergue de grand-perroquet. Khosrew laissa porter vent arrière pour réparer en dehors du feu ces avaries. Une semblable manœuvre n’était pas de nature à encourager le reste de la flotte turque. Quatre frégates cependant avaient réussi à gagner le vent à la division de Miaulis, qu’elles s’efforçaient d’acculer sous les forts de Cos. Pendant ce temps, Ibrahim et Ismaël-Gibraltar contenaient le gros de la flotte ennemie. La situation devenait, critique pour les Hydriotes, leur habileté les tira de ce mauvais pas. Le vent, en fraîchissant encore, ne tarda pas à jeter le désordre dans l’escadre de Khosrew. La vue seule des brûlots avait le don d’affoler les Turcs ; en voulant les éviter, plusieurs des bâtimens du capitan-pacha s’abordèrent. Quant au canon, il fit dans toute cette affaire peu de ravages ; le tir des Grecs était inefficace, celui des Turcs « semblait insensé. » En dépit d’un feu des plus violens, maintenu pendant plusieurs heures, il n’y eut pas 20 hommes de tués des deux parts. Dans l’après-midi, les flottes se séparèrent et allèrent, chacune de son côté, chercher un mouillage où elles pussent réparer en paix leurs avaries. Ibrahim était enchanté de ce premier essai de combat naval. Bien qu’il se fût trouvé sur un terrain entièrement nouveau pour lui, il y avait montré sa bravoure ordinaire.

Le 10 septembre, la flotte combinée appareilla, bien décidée à forcer enfin le passage. Elle avait déployé ses quatre-vingt-sept voiles sur une seule ligne, et cette ligne s’étendait de Leros jusqu’à Calymnos. L’avant-garde des Turcs tenta encore une fois de placer Miaulis entre deux feux. Cet amiral se trouvait en calme près de l’îlot Kiriaki avec une douzaine de bricks ; peu s’en fallut qu’il ne fût enveloppé par l’ennemi. La brise l’atteignit enfin et lui permit de