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paysage intitulé le Saut du loup manque de profondeur, de solidité dans les premiers plans, de perspective dans, les horizons, et n’a pour tout mérite qu’un dessin architectural et une certaine disposition décorative qui ne manque pas de style. Le Chèvrefeuille de M. Hanoteau est une jolie toile dans un genre plus modeste et plus familier. Des chèvres broutent dans un bois, sous une futaie dont les détails sont très sincères et très finement rendus ; mais les premiers plans tombent sur le cadre, et le véritable centre de lumière n’est pas au centre du tableau. L’éclaircie lumineuse qu’on aperçoit au second plan n’est qu’une trouée sans importance, qui ne domine pas le reste du tableau, et ne retient pas suffisamment le regard. L’œil se porte de préférence vers les clairières pratiquées à droite et à gauche, soit vers le chemin, soit vers la mare qui bordent les deux côtés de la toile, et qui pourraient servir chacun de centre au tableau. C’est là un défaut grave que ne rachètent ni la grâce de certains détails, ni la scrupuleuse fidélité, ni l’harmonie de la couleur.

Il faut l’avouer sans détour : sauf M. Corot, qui garde une place à part, c’est M. César de Cock qui est cette année, de par le jugement du public, le roi du paysage. Le talent de M. de Cock n’est pas d’un genre supérieur, et il a mis longtemps à se faire estimer. Ses éternels dessous de bois étaient jadis d’une crudité qui rebutait l’œil et qui le blessait trop pour qu’il pût s’y arrêter avec plaisir. Sa couleur, en s’amollissant un peu, a pris plus d’harmonie, et permet maintenant de lui rendre justice. Son tableau intitulé Dans le bois est d’une coloration bleuâtre et rosâtre qui n’a peut-être pas beaucoup de puissance, mais d’une saveur fraîche, exquise et toute printanière, dans les tons doux et fins de l’aquarelle ; les lointains fondus et brouillés y sont traités, comme d’habitude, avec une merveilleuse habileté ; somme toute, l’ensemble est un peu fragile et légèrement indécis. La Rivière sous bois est d’une facture plus ferme et d’une intelligence plus nette. Les feuillages y sont disposés par touffes d’un dessin précis, d’une forme arrêtée ; l’aspect en est saisi par les grandes masses, et il se résume en deux teintes fondamentales : le vert vif et le gris perle, dont la répétition sans monotonie donne au tableau une unité singulière. La rivière tourne à merveille dans une profondeur vaporeuse, entre deux haies de feuillages tendres, dont les branches laissent entrevoir un ciel blanc et légèrement azuré. M. César de Cock ne sera jamais qu’un peintre de second ordre ; cependant il a dans son genre une incontestable originalité.

Son verre n’est pas grand, mais il boit dans son verre.


On n’en pourrait pas dire autant de la plupart de ses émules.