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timidité mélancolique et charmante. Plus tard, quand vint la maturité de ce beau talent, à l’époque où il peignit ses bords de l’Oise, ses effets de printemps, son pommier en fleurs, le sentiment que respiraient ses ouvrages était peut-être déjà moins vif et moins profond ; c’étaient pourtant des chefs-d’œuvre, parce qu’ils présentaient un parfait équilibre entre le sentiment et l’expression. Aujourd’hui cet équilibre est rompu, et il est à craindre que ce ne soit pour toujours.

En fait de paysages d’hiver, nous préférons encore à la Neige de M. Daubigny le Souvenir de la forêt d’Eu de M. Daliphard. On y voit aussi des arbres dépouillés, des volées de corbeaux, et le tout se découpe avec vigueur sur un ciel rouge ; mais il y a un véritable aspect de désolation tragique dans les rangs serrés de ces grands chênes bruns à moitié ensevelis sous les frimas, dans les flaques d’eau noire éparses sous la futaie, dans l’embrasement du soleil couchant qu’on entrevoit à travers les profondeurs de la forêt. — Quant à M. Emile Breton, dont nous n’avons plus à faire ici l’éloge, on peut hardiment le proposer en exemple à tous les peintres d’effets de neige. Son Dimanche matin dans un village de l’Artois est une de ces toiles simples et fortes qui n’ont d’autre prétention que de rendre fidèlement ce qu’elles représentent. A l’entrée d’un pauvre hameau, entre deux rangées de chaumières qui s’éloignent avec une perspective des plus puissantes, quelques paysans cheminent dans la neige, se rendant à l’office du dimanche. Le chemin est bordé d’arbres tout chargés de frimas et de fossés remplis d’eau que recouvre la neige, trouée de place en place de flaques de glace d’un vert sombre. Le ciel, d’un brun violacé, pèse lourdement sur l’horizon, et l’on y voit, pour ainsi dire, les nouvelles averses de neige dont il est chargé. Mais pourquoi M. Emile Breton se consacre-t-il aux effets de neige ? Son Soleil couchant après l’orage va peut-être répondre à cette question. Cette toile est d’un grand effet, harmonieuse, exacte et sincère ; cependant elle est trop sombre pour l’heure du jour et pour l’état du ciel : malgré le puissant embrasement qui occupe l’horizon, sur un ciel moucheté, strié et fouetté de nuages épars, la lumière manque dans ce paysage. Les masses de verdure qui se découpent en silhouette sur le ciel, les marécages et les prairies qui nagent au premier plan dans une ombre déjà épaisse, le troupeau de moutons qui chemine sur la droite, se confondent dans une masse obscure que n’éclaire aucun reflet lumineux. M. Emile Breton, cela est visible, ne sait pas faire descendre la lumière du ciel, et il lui est plus commode de l’emprunter à la terre en la couvrant d’un manteau de neige dont la blancheur diffuse sert de repoussoir à tout le reste.

Il y a peu de chose à dire cette année de M. Harpignies, dont le