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retours vers le passé. On doit donc permettre à nos artistes de prendre leur bien où ils le trouvent sans s’enfermer systématiquement dans le domaine d’aucune école, soit qu’elle s’appelle l’école classique, soit qu’elle s’appelle l’école réaliste ; il serait absurde de vouloir les parquer dans tel genre plutôt que dans tel autre. Ce n’est pas dans la société moderne que l’art peut être matière à réglementations de police ; il faut laisser cette chimère à la république de Platon ou au royaume de Salente, et ne pas vouloir imposer à l’école française une discipline artificielle en concentrant toute l’éducation des artistes entre les mains de quelques professeurs patentés et placés sous la surveillance de l’état.

Or c’est en ce sens que depuis bien des années nous voyons marcher l’école française. Il n’y a plus maintenant en France qu’un endroit où les artistes puissent faire de fortes études, c’est l’École des Beaux-Arts de Paris. L’initiative individuelle languit, les grandes écoles privées disparaissent, et l’on voit tomber cette émulation féconde qui animait autrefois les ateliers des maîtres. Les jeunes gens sont obligés de recevoir un enseignement officiel et banal qui, distribué successivement par plusieurs fonctionnaires salariés, n’établit aucun lien entre l’élève et le maître, et ne leur permet pas de se choisir mutuellement suivant leurs préférences ou leurs aptitudes. Sous prétexte de courber tout le monde sous la même discipline, cet enseignement livre ses victimes à tous les caprices de la fantaisie individuelle et à toutes les illusions de l’orgueil solitaire.

Quel est le grand malheur et le grand danger de l’art moderne dans nos sociétés telles que notre civilisation les a faites ? C’est qu’il cesse d’être national et qu’il devient cosmopolite. A l’heure qu’il est, il n’y a plus guère, à proprement parler, d’école française ; on y chercherait en vain cette unité d’inspiration qu’on trouve dans toutes les grandes écoles du passé, françaises ou étrangères : il n’y a plus aujourd’hui pour les artistes qu’un marché français. Or la décadence de l’art grec a commencé le jour où les héritiers de Phidias et d’Apelles, au lieu de travailler pour la gloire de leur patrie et pour les applaudissemens de leurs concitoyens, sont devenus les mercenaires de l’étranger et les pourvoyeurs du monde romain. N’est-ce pas là ce qui nous menace ? Et s’imagine-t-on trouver un remède à ce mal dans une espèce d’école normale obligatoire placée sous la direction de quelques académiciens ? La centralisation administrative est aussi mauvaise pour l’art que pour la liberté. Ce qu’il faut aux arts pour fleurir, c’est la vie locale, c’est l’esprit d’initiative et le goût des grandes entreprises. Voilà pourquoi leur âge d’or a été celui des républiques grecques et italiennes, celui d’Athènes et de Florence. Alors la patrie était si restreinte qu’elle