Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combinaisons systématiques une satisfaction ; mais plus d’une erreur s’introduit par cette porte dans l’histoire littéraire. Ce travail d’arrangement commence, pour les contemporains de Philippe, dans la capitale des Ptolémées. Déjà du temps de Cicéron, c’est chose admise que Démosthène et tous ses rivaux d’éloquence sont sortis de l’école d’Isocrate « comme les héros grecs des flancs du cheval de Troie, dans la nuit suprême d’Ilion. » L’image est heureuse et vive ; cependant l’examen attentif des faits et des témoignages est loin de confirmer cette opinion.

Nous ne nous arrêterons point ici à discuter l’un après l’autre les textes qui mettent Démosthène en relation avec Isocrate et Platon ; rien par exemple de plus invraisemblable que les anecdotes puériles recueillies à ce sujet par l’auteur des Vies des dix orateurs. On peut, pour ce qui concerne Isocrate, opposer aux vagues assertions des scoliastes le témoignage formel de Plutarque. Celui-ci affirme que Démosthène fut élève d’Isée et non d’Isocrate ; il en donne même la raison. Denys d’Halicarnasse ne s’explique pas sur ce point ; mais il indique, comme le plus célèbre des élèves d’Isocrate, l’historien Théopompe ; c’est assez dire qu’il ne regarde point Démosthène comme l’un d’entre eux. Dans son discours sur l’Antidosis, Isocrate ne mentionne pas Démosthène parmi ses disciples, mais il nomme Onétor et son frère ; or nous avons trouvé cet Onétor ! dans le procès des tuteurs, parmi les ennemis personnels de Démosthène. En revanche, le premier discours que Démosthène écrivit dans une cause publique est dirigé contre un autre élève d’Isocrate, Androtion. Ceux des disciples d’Isocrate qui habitaient Athènes, pour la plupart ambitieux et riches, formaient une coterie puissante ; or ce groupe témoigna tout d’abord à Démosthène une malveillance qui ne s’expliquerait point, s’il fût sorti de la même école. Enfin on a cru saisir chez Isocrate lui-même, dans un de ses derniers ouvrages, des allusions chagrines aux succès de Démosthène ; si le vieillard s’était cru le maître du premier orateur de son siècle, n’aurait-il pas, avec son ingénieuse vanité, su faire valoir ce titre de plus à l’admiration des hommes[1] ?

Pour ce qui est des relations avec Platon, l’opinion qui les admet ne repose pas sur des fondemens plus solides. Hermippos paraît l’avoir accréditée le premier vers la fin du IIIe siècle avant notre. ère ; il dit l’avoir trouvée dans des mémoires anonymes. Cicéron l’appuie sur l’autorité « d’une lettre de Démosthène. » Il n’a guère

  1. Si les discours contre Kallippos et contre Lacritos, attribués à Démosthène étaient bien de lui, la preuve serait encore plus frappante ; mais il y a tout lieu de croire que le premier de ces plaidoyers est d’Apollodore, et la second d’un auteur inconnu.