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était l’une des curiosités que l’on montrait à l’étranger qui visitait Athènes. La précision de ce renseignement n’a rien qui commande la confiance ; tout au contraire serions-nous tentés de croire qu’il faut en faire honneur à l’imagination des exégètes, les cicérone, les domestiques de place de l’antiquité. On sait par plus d’un exemple avec quelle facilité s’accréditent ces fausses dénominations. Tout y contribue, les vanités locales, les prétentions des savans qui veulent paraître ne rien ignorer, les calculs de tant de gens intéressés à satisfaire, en l’exploitant, la curiosité des étrangers et la crédulité des badauds. Il paraît incontestable que, plus de quatre siècles après le temps où vivait Démosthène, la tradition attachait le souvenir et le nom de l’orateur à quelqu’un des nombreux silos que l’on observe encore, à demi comblés, dans les parties désertes de l’ancienne Athènes, ou bien à quelque chambre funéraire creusée dans le roc et semblable à celle que l’on avait imaginé d’appeler la prison de Socrate. A vrai dire, cette attribution était peut-être aussi peu fondée que cet autre caprice du préjugé populaire qui, dans les temps modernes, avait fait du monument choragique de Lysicrate, malgré l’inscription de l’architrave, la lanterne de Démosthène. Ce texte, des plus clairs, ne laisse subsister aucun doute sur le vrai caractère et la destination de ce charmant petit édifice élevé, l’an 334 avant notre ère, pour perpétuer la mémoire d’une couronne décernée, dans un concours scénique, au chœur formé par les jeunes gens de la tribu Acamantide ; il saute aux yeux que le beau fleuron qui le surmonte servait de support au trépied, prix de la victoire. On savait d’ailleurs par les anciens eux-mêmes qu’il y avait là au nord-est de l’Acropole, toute une rue décorée de monumens semblables à celui qu’un heureux hasard a préservé de la destruction comme pour fournir à nos architectes un type classique des formes et des proportions de l’ordre corinthien. Il n’y avait point là place à l’erreur, ni même à l’hésitation ; pourtant des voyageurs intelligens, par déférence pour l’opinion vulgaire, ont prétendu retrouver, dans le fleuron terminal, la forme emblématique d’une lampe, allusion aux laborieuses veillées de l’orateur[1]. Plutarque et ses contemporains y regardaient de moins près encore ; de pareils témoignages ne prouvent donc qu’une chose, c’est l’existence de la tradition au temps d’où ils proviennent.

  1. On trouve encore ces rêveries dans un livre publié il y a peu d’années, la deuxième édition de l’Histoire de Démosthène, par M. A. Boullée, livre tout plein de bons sentimens, mais qui témoigne d’un amour malheureux pour les lettres grecques. Il est triste de penser que le lecteur français qui voudrait se faire une idée de la vie de l’orateur n’ait à sa disposition que cet ouvrage médiocre, tout plein d’erreurs et d’incohérences, tandis que l’Allemagne possède un travail aussi critique et aussi complet que possible, le grand ouvrage d’Arnold Schæfer.