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Ce n’était nullement une complication, pas même l’apparence d’une complication, c’était une affaire d’étiquette, une formalité de diplomatie. Faut-il chercher plus loin ? Les puissances qui ont soulevé cette question, sans y attacher aucune importance aujourd’hui, n’ont-elles pas eu quelque pensée inavouée ? Soit, disons le mot qu’on n’a pas dit : ces puissances ont tenu à garder leur liberté, elles ont voulu établir que leurs représentans n’étaient pas accrédités indifféremment, implicitement ; ne fût-ce que pour un instant, auprès de tous les pouvoirs qui pouvaient sortir de combinaisons parlementaires fort improbables sans doute, mais toujours possibles après tout. Elles se sont réservé ainsi le droit de se prononcer selon les circonstances et selon leurs intérêts. Nous avons cette chance que les sympathies dont certaines nations ne nous refuseraient pas le témoignage ne sont pas sans un mélange d’inquiétude et de crainte. On est prudent dans la confiance qu’on met en nous. Assurément ce n’est pas à la présidence du maréchal de Mac-Mahon que s’applique cette réserve dont les derniers actes des cabinets sont la vague et insaisissable expression, et même, chose singulière, par cette apparence de précaution qu’on prend à l’égard du gouvernement du 24 mai, on a l’air de lui donner une consécration diplomatique. On lui accorde cette sanction, qui n’est peut-être pas indispensable, mais qui est toujours utile, d’une reconnaissance personnelle, et sous ce rapport le ministère n’avait vraiment aucune raison de ne pas se prêter avec empressement à la combinaison qu’on lui présentait comme. une nécessité. Le maréchal de Mac-Mahon a fait ses notifications ; M. d’Arnim a reçu ses lettres de créance, qu’il a remises au président, et si M. de Gontaut-Biron n’a pas remis les siennes à l’empereur Guillaume, c’est que le souverain allemand paraît être assez souffrant pour interrompre ses audiences. Tout cela est fait ou entendu, nous sommes en règle, nous avons pour nous toutes les vertus de l’étiquette.

Qu’on ne s’y méprenne pas cependant : sans rencontrer de vrais obstacles, le nouveau gouvernement a sa situation à faire en Europe, il a son crédit à établir, et de même que M. le duc de Broglie disait, au sujet du gouvernement renversé le 24 mai, qu’on ne se contenterait plus de paroles, de déclarations, qu’il fallait désormais des actes, on attend aussi le nouveau pouvoir à ses actes ; on veut savoir ce qu’il est, ce qu’il veut réellement. Sans doute il parle au nom de la France, et malgré tant de malheurs c’est encore beaucoup ; mais hier un autre parlait au nom de la France, qu’il avait ramassée dans la poussière sanglante pour la remettre sur pied ; cet autre était M. Thiers, et l’Europe s’était accoutumée désormais à le considérer comme le représentant éminent, difficile à remplacer, de notre pays ; elle avait pris confiance dans sa modération, dans son expérience et sa dextérité. Elle l’avait vu à l’œuvre, poursuivant patiemment les négociations les plus délicates, et arrivant à obtenir la libération anticipée de notre territoire, sachant écarter les complications