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elle commettait le crime, sans exemple dans l’histoire, de massacrer une population désarmée, placée sous la sauvegarde d’une capitulation. Le commandant répondit par un refus catégorique, et bientôt, à l’approche d’une reconnaissance française, il lança sur Amiens des obus qui tuèrent ou blessèrent plusieurs personnes ; il poussa le mépris des lois de la guerre jusqu’à faire tirer sur des voitures publiques qui passaient en vue de la citadelle. Le général Faidherbe, par un sentiment d’humanité qui l’honore, ne voulut point attirer d’irréparables désastres sur l’un des plus grands centres industriels de la France ; il suspendit sa marche, et prit position à 20 kilomètres en avant d’Amiens.

A peu de distance de Villers-Bretonneux et sur la même ligne, une petite rivière, l’Hallue, coule dans une vallée étroite et tourbeuse, longue d’environ 13 kilomètres, et va se jeter dans la Somme un peu au-dessous de Corbie. Cette vallée est bordée sur tout son parcours par des collines où s’élèvent çà et là de petits bois, et des villages situés les uns dans la vallée même, les autres sur les premières pentes. C’est là sur la rive gauche, que l’armée du nord se déploya pour attendre l’ennemi. Elle avait à son extrême droite Contay, au centre Querrieux et Pont-Noyelles[1], à son extrême gauche Daours, la Somme et des marais. Cette position était très forte et bien choisie. Les généraux prussiens auraient pu, par une marche bien combinée sur la droite, forcer Faidherbe à la quitter et à recevoir la bataille avec la Somme à dos, mais ils se bornèrent à l’attaquer de front, croyant sans doute nous culbuter au premier choc.

Le 20 décembre, une reconnaissance prussienne forte d’environ 2,000 hommes avec deux pièces d’artillerie se porta sur le bois de Querrieux. Le 18e bataillon de chasseurs à pied et le 33e de ligne marchèrent à sa rencontre et la repoussèrent vigoureusement ; l’armée française, croyant à une attaque plus sérieuse, avait pris les armes. C’était tout ce que voulait l’ennemi, qui se trouvait ainsi en mesure de juger de nos forces. Les deux jours suivans, il fit arriver des renforts de tous côtés ; le 23 au matin on apprit par les vedettes qu’il venait de sortir d’Amiens, et qu’il s’avançait en trois colonnes vers les lignes françaises. « L’attaque, dit le général Faidherbe, commença plus tôt qu’on ne l’avait pensé ; mais on était prêt à la recevoir. » Cependant nos pièces de 12, qui étaient restées dans la vallée, n’entrèrent en ligne qu’au moment où l’une de nos batteries de 4 était déjà démontée.

Les Prussiens se rangèrent en très bel ordre sur la rive droite de

  1. Querrieux est situé sur la rive droite de l’Hallue, Pont-Noyelles sur la rive gauche. Ces deux villages sont traversés par la grande route d’Amiens à Bapaume.