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et de la réformation. Quand ses malheurs firent perdre ce penchant à l’église byzantine, le monde orthodoxe perdit un des principaux fermens de progrès en des temps où toute la pensée humaine se concentrait sur la religion. Pour le passé, il en est résulté une grande lacune dans la vie des peuples du rite grec : pour le présent, où devant l’activité intellectuelle s’ouvrent des champs plus sûrs que la théologie, les disciples de l’église gréco-russe peuvent trouver plus d’avantage que d’inconvénient à ce que chez eux ces obscures régions aient été moins explorées ou moins déterminées.

Entre les latins et les grecs, il y a une différence considérable dans la manière de concevoir le développement du dogme chrétien; il y en a une plus profonde encore dans l’organisation du pouvoir ecclésiastique. Avec une hiérarchie analogue de prêtres et d’évêques, le mode de gouvernement des deux églises est en complète opposition. Dans l’orthodoxie gréco-russe, il n’y a point de concentration de la puissance de l’église, point d’autorité vivante devant laquelle tout doive s’incliner. Selon les catéchismes russes, l’église n’a d’autre chef que Jésus-Christ et ne connaît pas de vicaire qui tienne sa place. Au milieu des disputes soulevées dans le monde catholique par la proclamation de l’infaillibilité papale, les Orientaux, les Russes en particulier, se montrent fiers de n’être point soumis à la monarchie spirituelle de Rome. Ils se plaisent à mettre en relief ce contraste des deux églises, à en exposer toutes les conséquences. « Vous appelez, disent-ils, la Russie la patrie de l’autocratie, et vous en admettez en France une plus absolue, l’autocratie religieuse des papes. Votre principe de la division des pouvoirs, si nous ne l’avons pas dans l’état, nous l’avons dans l’église. Dans cette orthodoxie si méprisée de vous, la puissance législative réservée aux conciles et la puissance exécutive et administrative déférée aux évêques ou aux synodes nationaux ne sont jamais unies, au lieu de l’être indissolublement sur une seule tête comme à Rome. Dépourvue de chef visible, la religion ne peut intervenir de la même manière vis-à-vis des consciences individuelles ou vis-à-vis des peuples. Toute la puissance qu’elle a reçue du ciel ne se concentre pas en une seule voix pour commander aux hommes. L’autorité collective de l’église, qui chez nous tient la place de l’infaillibilité personnelle du pape, n’a pas pour s’exprimer d’organe permanent. Aucun de nos pontifes n’a le droit de nous parler au nom de l’église entière, c’est le privilège des conciles œcuméniques, et de telles assemblées sont toujours malaisées, souvent impossibles à réunir. Chez nous, l’inquisition eût été plus difficile à établir, plus difficile à maintenir. Ce n’est point que notre clergé n’ait souvent eu recours au bras séculier, ce n’est point qu’il ne se mêle aussi d’approuver ou de prohi-