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l’allié subordonné des Anglais; on sait ce que cela veut dire. Il reçoit un subside annuel de 5,000 livres sterling; un agent politique du vice-roi réside auprès de lui, prêt à intervenir dans les discordes civiles. D’ailleurs le Beloutchistan est une contrée stérile ; il ne présente d’intérêt que parce qu’il sépare l’Inde de la Perse et qu’il est une des portes ouvertes sur la vallée de l’Indus en venant de l’Asie centrale.

De tous côtés, l’Inde anglaise semble avoir atteint ses limites naturelles. Elle a des voisins incommodes, turbulens, contre lesquels elle se doit tenir sans cesse sur la défensive ; pourtant aucun d’eux n’est dangereux. Ce sont des tribus barbares ou de petits royaumes dont l’armée britannique viendrait à bout facilement. La politique des derniers vice-rois a été empreinte d’une extrême réserve à leur égard. On ne pensait qu’à maintenir de bons rapports avec tous ces voisins, ce qui n’est pas toujours possible, soit parce qu’ils vivent dans un tel état de barbarie que l’on ne peut entamer avec eux de négociations sérieuses, soit parce qu’ils sont en proie à des révolutions incessantes. Cette politique serait sage peut-être, s’il n’y avait au nord des montagnes la Russie, dont les progrès inquiètent à juste titre. Aussi longtemps que les Beloutches, les Afghans et les musulmans du Turkestan oriental conserveront leur indépendance, le péril ne sera pas imminent; mais le khan de Khelat ne subira-t-il pas l’ascendant de la Perse, aujourd’hui l’alliée de la Russie? Candahar, Caboul et Kachgar éviteront-ils le sort de Bokhara et de Samarcande? Et puis, il faut bien le dire, le commerce britannique, dont l’ambition n’est jamais assouvie, demande que de nouveaux marchés lui soient ouverts. Pourquoi le vice-roi délégué dans l’Inde par la reine d’Angleterre se montre-t-il moins entreprenant que les anciens gouverneurs-généraux de la compagnie des Indes? Pourquoi l’Afghanistan après le Pendjab, le Thibet après le Cachemire, ne deviennent-ils pas des dépendances de l’empire britannique? La puissance d’expansion de cet empire s’est-elle donc affaiblie à mesure qu’il acquérait plus de force et d’étendue? Nullement; mais au-delà des frontières qui le bornent aujourd’hui vivent des populations belliqueuses et méfiantes. Montesquieu dit quelque part dans l’Esprit des lois : « L’Asie n’a point précisément de zone tempérée, et les lieux situés dans un climat très froid y touchent immédiatement ceux qui sont dans un climat très chaud. » Quoique ceci ne soit pas tout à fait exact, il est réel qu’un autre pays commence au pied des montagnes par lesquelles l’Inde est bornée. Ce sont d’autres races, d’autres mœurs, c’est un autre climat.


H. BLERZY.