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pour le vulgaire, est rempli d’indices et de renseignemens précieux pour l’œil pénétrant de l’archéologue. M. Mariette s’habitua bientôt à lire dans ce mystérieux livre funéraire qui renfermait tant de secrets; il se proposa même de résoudre un problème que ni Champollion, ni Lepsius n’avaient osé aborder, et qui consistait à dresser un. plan chronologique des différentes parties de la nécropole. Il pensa retrouver dans ce dédale de sépultures les cimetières de chaque époque, se persuadant qu’ils représentaient chacun tout un ensemble en quelque sorte dynastique. Du haut de la pyramide de Saqqarah, il distinguait déjà sur ce plateau jaune et brûlant les quartiers pharaoniques des IVe, XVIIIe, et XXIVe dynasties, puis les tombes ptolémaïques ; il avait déjà esquissé le plan général de ce vaste champ de la mort, et il s’occupait d’en délimiter les régions funèbres, lorsqu’il vint à heurter du pied une pierre portant des hiéroglyphes. Il la prend et y déchiffre, accouplés comme dans les graffitti des sphinx d’Alexandrie et du Caire, les noms d’Apis et d’Osiris... Il lève les yeux et voit se dresser devant lui une tête blanche sortant du sable et le regardant avec ce sourire béat et immobile qui semble saluer un familier : c’était un sphinx évidemment très proche parent de ceux qu’il avait rencontrés chez le comte Zizinia et chez Linant-Bey. Cet heureux rapprochement lui livrait les deux élémens d’une recherche nouvelle à tenter ; sa mémoire, remplie des souvenirs de ses textes classiques, lui fournit sur l’heure même la troisième donnée du problème et le mit sur la voie de sa grande découverte. Il venait de se rappeler les termes mêmes du passage de Strabon où il est dit que le Sérapéum de Memphis se trouvait dans un lieu très sablonneux, et que le géographe grec y avait vu des sphinx enfouis jusqu’aux épaules et d’autres engagés à mi-corps dans le sol du désert. A partir de ce moment, il tint le fil qui devait le conduire au but à travers ce labyrinthe souterrain et inconnu. Il résolut aussitôt de se livrer sans relâche à la recherche du Sérapéum; mais n’était-ce pas risquer beaucoup que d’abandonner ainsi l’objet d’une mission qui était tout autre, pour appliquer les fonds de l’état à une entreprise différente, que bien des gens ne manqueraient pas de taxer de chimérique, si le résultat tardait, de coupable, s’il trompait l’attente de l’audacieux chercheur? Il fallait, par un effort d’intelligence aidé d’un coup d’œil sûr, guidé par cet instinct merveilleux qui est comme le génie propre de l’archéologue, se tracer dans sa tête un plan exact, plonger des regards de l’esprit dans les profondeurs des sables et voir déjà distinctement, à l’extrémité de cette avenue de sphinx dont on tenait les abords, la tombe d’Apis avec ses trésors et ses mystères.

Le lecteur ne confondra pas ici le cimetière ou la demeure funèbre d’Apis, objet des recherches de M. Mariette, avec le temple