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Les travaux, repris le 29 juin 1851, avaient été poussés avec une grande activité à l’aide de quelques emprunts, les fonds de la mission étant épuisés. Entre cette date et celle où le vote de l’assemblée nationale fut connu en Égypte, il s’écoula donc une période de trois mois, qui ne fut pas la moins difficile à traverser. Quelque temps après la reprise des fouilles, les reis, ou chefs des escouades de fellahs employés sur les chantiers, furent mandés à Giseh et interrogés par le moudyr sur le nombre et la nature des monumens déjà découverts. On tenait à en posséder l’état exact, afin, disait-on, d’en faire présent à la France. Cette sollicitude inusitée pour l’archéologie et les dispositions amicales dont on se disait subitement animé pour notre pays ne laissèrent pas d’inspirer à M. Mariette la plus légitime défiance. Comme il s’attendait à de nouvelles persécutions, il avait eu soin de cacher les monumens à mesure qu’il les découvrait, en achetant, bien entendu, le silence de ses hommes. Cependant l’aide-de-camp du moudyr vint vérifier par lui-même la déclaration des reïs. Cette visite, faite à l’improviste, causa un grand trouble au fouilleur de Saqqarah, car cinq cent treize monumens se trouvaient sur le théâtre même de la fouille, et il n’eut pas le temps de les dérober aux regards de cet espion, qui s’empressa d’en dresser l’état.

A quelques jours de là, « l’homme du désert » fut mandé au Caire chez Stephan-Bey, qui lui donna l’ordre de faire transporter ces cinq cent treize monumens au ministère égyptien de l’instruction publique. Cinq officiers furent dépêchés au Sérapéum « pour veiller à la conservation de tout ce qui pouvait être transporté. » On signifia de plus, par une lettre officielle adressée à notre compatriote, la décision prise par le gouvernement; les termes en étaient formels et paraissaient bien difficiles à éluder : « tous les objets provenant des fouilles de Saqqarah sans exception sont la propriété du vice-roi, qui en disposera selon son bon plaisir. » Que faire? Demander du temps? C’est ce que fit M. Mariette, qui en référa au consul-général de France. Ce dernier venait de recevoir précisément un message de M. Léon Faucher, ministre de l’intérieur, qui lui enjoignait d’expédier en France, à destination du Louvre, tous les objets découverts au Sérapéum. Le ministre n’oubliait qu’un point, c’était la manière de s’y prendre pour exécuter son ordre. Cependant les cinq officiers « surveillans » s’établirent sur le chantier des fouilles, où ils passaient les journées entières, retournant tous les soirs à leur casernement. En dépit de tout, M. Mariette, en attendant la réponse du consul-général, ne voulait pas perdre son temps, et, ne pouvant travailler le jour, il résolut d’employer activement les nuits; mais il ne savait plus à qui se fier, — un jour il trouva du poison dans son café.