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Pour comprendre le travail secret auquel il se livra dès lors, il faut savoir que dans la nécropole on trouve des tombeaux anciennement fouillés et auxquels donnent accès des puits carrés de 10, 20 et 25 mètres de profondeur ; on y descend à l’aide de cordes passées autour des reins, que deux fellahs, debout à l’orifice sur deux troncs de palmiers placés en travers, laissent filer entre leurs mains, jusqu’à ce que le visiteur soit arrivé au fond du puits, dans la chambre funéraire, assez spacieuse d’ordinaire, creusée elle-même dans le roc et formant un enfoncement en retraite. Il est facile de dissimuler l’entrée du puits, et, lors même qu’on néglige cette précaution, il est impossible de voir du dehors ce qui se passe dans le caveau, d’abord à cause de l’obscurité qui y règne, ensuite parce que jamais le centre de ce caveau ne se trouve dans l’axe du puits. C’est dans quelques-uns de ces tombeaux que M. Mariette faisait descendre et cachait les monumens au fur et à mesure des découvertes; c’est là qu’il avait organisé ses ateliers d’emballage pour le Louvre. Il en avait déjà réuni et expédié deux mille environ, dont ses surveillans n’avaient même pas jusqu’alors soupçonné l’existence; mais ils eurent quelque indice de ces dépôts secrets et de ce travail souterrain. Ce qui les rendit moins gênans, c’est qu’un d’entre eux s’était, par mégarde, laissé choir dans un de ces puits et s’y était tué; un autre ayant demandé à y descendre, il fut satisfait avec d’autant plus d’empressement à ce désir que le trou désigné par lui ne servait d’accès à aucun atelier d’expéditions; on l’y laissa jeûner quarante-huit heures, quoiqu’on ne fût pas en temps de rhamadan. Ces deux circonstances expliquent suffisamment la répugnance que montrèrent dès lors les surveillans pour exercer au fond des puits.

Cependant la plus grande partie des cinq cent treize monumens enlevés par le gouvernement égyptien avaient été transportés dans les magasins du village de Saqqarah. Il s’agissait de reprendre sur l’ennemi cette propriété deux fois sacrée, fruit d’une découverte personnelle faite dans le désert, qui est à tous, et devenu pour nous bien national, conquête de la science et du pays. M. Mariette fit alors, avec son fidèle Bonnefoi, des expéditions nocturnes qui leur permirent de rentrer en possession des monumens, qu’ils rapportèrent comme des trophées, pour les livrer aux ateliers d’emballage. Il est juste de nommer leurs généreux complices dans cette œuvre difficile et méritoire. M. Delaporte, consul de France au Caire, et le docteur Burguières venaient souvent visiter le Sérapéum, et bourraient des monumens les plus portatifs les sacoches et les grandes selles arabes de leurs ânes et de leurs chevaux, puis envoyaient ensuite secrètement pendant la nuit ces précieuses dépouilles à Alexandrie; les plus gros monumens y étaient expédiés par la voie du