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garanties que pouvait offrir une honnête et sérieuse concurrence. L’ordre arrivait-il d’équiper un vaisseau, le maître du port remettait au commissaire-général la liste des objets nécessaires à l’armement ; le commissaire-général prescrivait la délivrance, le garde-général des magasins l’exécutait ; l’écrivain du navire opérait la recette et la constatait par ses écritures. À dater de ce moment, c’était l’écrivain seul qui devenait responsable du matériel embarqué. Il devait en faire connaître l’emploi et le justifier par la présentation d’ordres écrits émanant du capitaine. Au retour, il rendait ses comptes ; les objets qui n’avaient pas été consommés rentraient dans les magasins. On peut reconnaître aisément dans cette grossière ébauche les principaux traits d’une organisation qui subsiste encore aujourd’hui. Le génie maritime seul chercherait en vain sa place dans l’ordonnance de 1631 : il n’y est représenté que par les maîtres de hache : ces habiles charpentiers, dont la science était presque toujours un héritage de famille, seront devenus des savans de premier ordre avant qu’on ait songé à leur faire la moindre part dans l’administration des arsenaux.

Le service du commissariat devait être, aux yeux d’un ministre économe et soupçonneux, la branche la plus importante de l’organisation générale à laquelle il semble avoir prêté une attention soutenue pendant plusieurs années. Aussi ce service fut-il le premier constitué. Ce ne fut que plus tard qu’on vit naître l’embryon de ce qui devait être un jour le grand corps par excellence, le corps royal de la marine. Au XVIe siècle et dans les premières années du XVIIe, quand les chefs d’escadre de Guyenne, de Bretagne, de Normandie, de Provence, avaient reçu du roi l’ordre « d’équiper une flotte, » ils se mettaient sur-le-champ en quête de capitaines qui sussent « faire tirer à propos le canon et empêcher que le feu ne prît aux poudres, » sur lesquels on pût compter pour « bien placer les mousquetaires, manier avec jugement les voiles et gagner le dessus du vent, aborder enfin le vaisseau ennemi avec le moins de perte possible. » Les officiers de valeur étaient alors connus, on pourrait presque dire cotés sur toutes les places maritimes de l’Europe. Les uns appartenaient à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, les autres avaient servi sur les corsaires de Dieppe, sur les flottes de Suède ou sur celles de Hollande. Pour s’assurer leurs services, il suffisait d’y mettre le prix. On pouvait être ainsi à peu près certain de confier ses vaisseaux à des commandans « gens de cœur, assurés dans les périls, prudens et expérimentés, incapables de baisser pavillon tant qu’il leur resterait une goutte de sang dans le corps. » Une pareille faiblesse eût été plus qu’une félonie ordinaire ; l’état, fidèle à son rôle d’armateur, l’aurait presque considérée comme une trahison commerciale. Un vaisseau de guerre, aux termes du contrat passé entre le souverain et le capitaine,