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pouvait « être forcé l’épée à la main, » pouvait « être brûlé ; » il ne devait jamais « être rendu à l’ennemi. » — « Ceux qui manqueront de faire leur devoir pour la gloire des armes du roi, sa majesté leur fera couper le cou. » Voilà le code militaire dans sa simplicité primitive. L’ordonnance de 1689 ne se montrera pas sous ce rapport moins rigoureuse et moins exigeante que l’ordonnance de 1634. Les progrès de l’artillerie viendront seuls modifier en 1765 ces doctrines par trop absolues. Le jour où il sera établi qu’un navire de guerre peut être détruit à distance, on cessera d’imposer au commandant l’obligation de ne rendre son épée qu’à celui qui viendra la prendre; on se contentera de lui demander de prolonger autant que possible la résistance et de défendre son vaisseau a jusqu’à la dernière extrémité. »


III.

Ces capitaines, dont on louait les services au moment du besoin et qu’on licenciait aussitôt que la campagne était terminée, vivaient du métier de la mer et n’hésitaient pas à porter en tous lieux leur industrie. Quelques-uns faisaient la course pour leur propre compte; d’autres s’adonnaient paisiblement au commerce, aucun ne s’endormait sur sa gloire passée. Leurs services antérieurs ne leur créaient aucun droit. L’état, qui les employait, ne cherchait pas parmi eux le plus ancien, le plus élevé en grade; il confiait le commandement supérieur au plus digne. Les illustrations vieillies, les bras fatigués ne pouvaient s’attendre qu’à un froid accueil. Il y avait bien quelque avantage à ce mode de recrutement, qui rappelle assez celui pratiqué en temps de guerre civile; un pareil système devait toutefois pécher par l’ensemble : rassemblés de tous les points du globe, les capitaines généralement ne se connaissaient pas, s’entendaient mal et s’obéissaient encore moins.

Par ce procédé d’armement, on pouvait avoir d’intrépides corsaires, on ne constituait que difficilement une flotte. Richelieu résolut de garder au service un certain nombre de capitaines et de lieutenans qu’il choisit avec soin parmi les plus capables. Le trésorier de la marine reçut l’ordre de leur payer une pension annuelle indépendante de la solde ordinaire de cent écus par mois qui leur était allouée lorsqu’ils commandaient. C’était un premier jalon posé pour arriver à une organisation permanente. Les officiers ainsi entretenus se trouvaient du même coup mis en possession d’une sorte de privilège. L’amiral lui-même ne pouvait les destituer, s’il ne les avait préalablement convaincus « d’avoir contrevenu aux ordonnances. » Ce n’était point toutefois de semblables aventuriers que le grand cardinal se proposa de composer le corps de la marine ; il