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les voulait seulement conserver comme instituteurs des jeunes seigneurs qu’il embarquerait sous leurs ordres. Dans la pensée de Richelieu, la noblesse française ne pouvait ambitionner de plus grand honneur que celui de commander les vaisseaux du roi. Le roi de son côté n’avait-il pas sujet d’espérer que cette généreuse élite, formée par de bons maîtres, lui fournirait bientôt « des capitaines économes, sachant beaucoup mieux les fonctions de tous les officiers que ces officiers eux-mêmes, charitables envers les malades et envers les blessés, et surtout craignant Dieu ? » On vit en effet sous le règne de Louis XIII « plusieurs personnes de condition » faire leur apprentissage sous les chefs d’escadre et les capitaines entretenus, se préparant ainsi à exercer à leur tour le commandement. La marine française fut dès lors un corps ; elle cessa d’en former un lorsque la parcimonie du ministre d’Anne d’Autriche eut fait descendre de 5 millions de livres à 300,000 le chiffre des sommes affectées aux dépenses navales.

Avait-on, sous cette administration nécessiteuse et avare, armé quelques vaisseaux, on se croyait encore en droit de parler bien haut de la marine et des escadres du roi, mais après quelques mois de campagne tout rentrait de nouveau dans le néant. Les capitaines étaient licenciés; ils ne se trouvaient pas alors seulement sans emploi, ils se trouvaient aussi sans pension. La marine de Richelieu ne lui avait pas survécu; Colbert n’en retrouva plus que les ruines. S’il ne rencontra pas au milieu de ces décombres les matériaux dont il avait besoin pour ériger un nouvel édifice, il y découvrit du moins des fondations qui lui parurent assez fermes encore pour qu’il n’hésitât pas un instant à y asseoir son œuvre.

L’ordonnance promulguée en 1634 a servi de base à tous les travaux d’organisation qui ont suivi. Au temps où parut cet édit mémorable, les Hollandais étaient les meilleurs guides que l’on pût consulter; aussi fut-ce à-leurs institutions maritimes que l’on crut devoir faire les plus larges emprunts. Les capitaines qui s’assemblèrent à Brouage sous la présidence du sieur de Manty[1], chef d’escadre de la province de Guyenne, ne copièrent cependant pas servilement les maîtres qu’ils avaient choisis pour modèle. Ils surent accommoder leurs prescriptions à nos traditions, à nos habitudes, à notre tempérament national. Ce travail, achevé en quelques mois, nous frappe encore aujourd’hui par sa clarté et par sa précision.

  1. M. Jal, s’appuyant sur une signature dont il donne le fac-simile, a cru devoir appeler « De Mantin » le chef d’escadre qui en 1636, montant le vaisseau de quarante canons l’Europe, fut chargé « de dresser par écrit un mémoire des choses sur lesquelles il était besoin de donner des ordres. » L’examen de la signature reproduite par M. Jal ne m’a pas convaincu. Tous les documens que j’ai consultés portent De Manty. C’est Ken là, je crois, le véritable nom du vice-amiral de Guyenne.