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REVUE. — CHRONIQUE.

samment dans cette alternative de voiler sa politique, de la diminuer et de l’immobiliser, s’il veut maintenir la cohésion artificielle des élémens discordans sur lesquels il s’appuie, — ou de s’exposer à une dislocation de majorité, s’il veut faire un pas. Cette situation arrive visiblement aujourd’hui à sa période aiguë et extrême. Les partis sont impatiens et ne peuvent plus se contenir. Le gouvernement de son côté sent le péril, et laisse entrevoir l’intention de préciser son attitude, d’affirmer ses desseins. Les contradictions éclatent sous toutes les formes, les incompatibilités sont flagrantes, la lutte est à peu près inévitable.

Comment sortir de là ? Il n’y a pas mille moyens, il n’y en a qu’un : c’est la reconstitution d’une majorité nouvelle par l’alliance de toutes les fractions modérées de l’assemblée sur le terrain créé par le septennat. Cette alliance, les événemens l’ont rompue, la nécessité peut la reconstituer. Entre ces hommes et ces groupes divers qui peuvent se réunir pour une œuvre collective de patriotisme, où sont donc les dissentimens profonds, sérieux ? Est-ce qu’il y a pour eux deux manières d’envisager la politique étrangère qui s’impose à notre pays ? S’ils ont des opinions différentes sur des détails de l’organisation constitutionnelle, est-ce qu’ils ne sont pas d’accord sur la nécessité de donner à la France des institutions fixes, régulières, sous la présidence de M. le maréchal de Mac-Mahon ? On n’arrivera pas encore, dit-on, à former une majorité, les centres réunis ne font pas une majorité, on sera abandonné par la droite et on succombera. Eh bien ! c’est là l’erreur, ou du moins c’est une crainte exagérée qui conduit tout simplement à se débattre au milieu de toutes les impossibilités de peur de courir le risque d’une crise, qu’on ne peut cependant arriver à dominer qu’en l’abordant sans faiblesse et sans arrière-pensée. Si le ministère, entrant dans cette voie, prenait hardiment son parti, s’il allait devant l’assemblée exposer la situation, les conditions nécessaires de gouvernement, les obligations de prévoyance et de patriotisme qui s’imposent à tous et doivent dominer les sentimens personnels, selon le mot récent de M. le président de la république aux jeunes élèves de Saint-Cyr, si le ministère agissait ainsi il aurait immédiatement l’autorité active et décisive que donne une idée simple et nette servie par une volonté résolue. Il entraînerait sans nul doute toutes les opinions sincères et désintéressées ; il serait suivi, quoi qu’on en dise, non par les intrépides et les purs du droit divin, mais par la masse de la droite elle-même, qui comprendrait aussitôt qu’en dehors de cette politique il ne reste plus que la dissolution. Tenir le gouvernement en échec, lui créer une impossibilité de vivre, on y regarderait à deux fois, on saurait bien que c’est là un jeu redoutable au moment présent, que, s’il y avait une crise violente née de l’incohérence et de l’impuissance des partis, la France ne périrait pas assurément pour une épreuve de plus, mais ceux qui auraient provoqué cette crise y resteraient ensevelis infailliblement.