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pontificale dont l’existence est remplie d’alternatives de grandeur et de chute. Le premier est le principal promoteur de l’élection au trône de Boris Godounof et est chassé de son siège par le faux Dmitri ; le second soulève le peuple contre les Polonais campés dans Moscou, et par l’ordre de leur parti meurt de faim dans sa prison. Sous Michel Romanof, c’est le père du tsar, le patriarche Philarète, qui dirige le gouvernement, c’est lui qui rétablit l’autocratie et est le vrai fondateur de la dynastie. Sous le tsar Alexis, c’est encore un patriarche, Nikone, qui a la principale part à la conduite des affaires, c’est lui qui décide la réunion de l’Ukraine et la soumission des Cosaques à l’empire. Le pontificat de Nikone marque le point culminant de l’église russe et le moment critique de son histoire. D’un caractère remuant et ferme, d’un esprit à la fois studieux et entreprenant, ce moine, sorti du peuple, arraché à un couvent de la Mer-Blanche, est peut-être le plus grand homme qu’ait produit la Russie avant Pierre le Grand, avec lequel on pourrait lui trouver plus d’un trait de ressemblance. Sa puissance tourna au détriment de son siège, et la plus sage de ses réformes ecclésiastiques au déchirement de son église. Des corrections qu’il fit subir aux livres d’offices sortit le schisme, le raskol, qui depuis deux siècles désole l’orthodoxie russe. De son influence sur les affaires publiques et de la jalousie des boiars surgirent les démêlés qui, après un long procès, le firent solennellement déposer par un concile. La chaire de Moscou reçut de la chute du plus grand de ses pontifes un ébranlement dont elle ne se remit point : la déposition du patriarche prépara l’abolition du patriarcat. Le schisme qui repoussait la réforme liturgique de Nikone dépouilla l’église officielle de son influence sur une grande partie de la nation. En ayant recours au pouvoir civil pour lutter contre les sectaires, l’église se mit davantage dans sa dépendance ; elle fut obligée de chercher auprès du trône l’appui qu’elle perdait dans le peuple. À ce point de vue, la position de l’église russe n’était point sans ressemblance avec celle de l’église anglicane de la même époque vis-à-vis des sectes puritaines. Lorsqu’elle fut supprimée par Pierre le Grand, l’autorité patriarcale était en sensible décadence.

Le patriarcat était affaibli, il parut encore entouré de trop de prestige au rénovateur de la Russie. L’abolition du trône patriarcal devait être une des réformes de Pierre le Grand : elle était la condition de la durée des autres. L’église était naturellement trop attachée aux vieux usages, trop opposée aux innovations pour que le réformateur lui laissât une constitution aussi forte. On connaît le propos du malheureux Alexis : « je dirai un mot aux évêques, qui le diront aux prêtres, lesquels le répéteront au peuple, et tout