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reviendra à l’ordre ancien. » Pierre savait les encouragemens donnés dans le clergé aux projets réactionnaires de son fils. Petit-fils lui-même d’un patriarche, il se souvenait du pouvoir exercé par son bisaïeul Philarète sous le nom du tsar Michel ; il se rappelait les embarras qu’avait donnés à son père Alexis la déposition de Nikone. Pierre Ier n’était pas homme à admettre la théorie scolastique des deux pouvoirs, des deux astres qui éclairent les peuples d’une lumière indépendante ; ce n’étaient point de pareilles leçons qu’il avait rapportées de l’Europe. La suppression du patriarcat fut un des effets de l’imitation de l’Occident. Ne pouvant, comme à la guerre ou dans l’administration, y employer des étrangers, Pierre se servit pour la réforme de l’église de Petits-Russiens élevés à l’académie de Kief sous l’influence de l’Europe. La réforme ecclésiastique se fit sous une inspiration occidentale, en partie sous une inspiration protestante ; les voyages du tsar, les exemples de l’Angleterre, de la Hollande et de certains états de l’Allemagne, ne furent probablement pas étrangers à la nouvelle constitution de l’église russe. La France elle-même y contribua d’une manière indirecte. Le remplacement d’un chef unique par une assemblée ne fut point dans l’œuvre de Pierre le Grand un acte isolé, spécial à l’église ; c’était un plan général, un système alors en vogue en Occident, particulièrement en France, où les ministres de Louis XIV cédaient la place aux conseils de la régence. Pierre s’était épris de cette innovation, et au retour de son second voyage il substitua partout aux dignités exercées par un seul homme des collèges composés de plusieurs membres. De l’administration de l’état il transporta ce système à l’administration de l’église : le saint-synode russe n’eut point d’autre origine, et pendant quelques semaines il porta le titre de collège spirituel, bientôt changé pour le nom plus ecclésiastique de très saint-synode.

Aux collèges administratifs de Pierre Ier ont, au commencement du XIXe siècle, succédé des ministres : le collège ecclésiastique, le saint-synode, a seul survécu. C’est que le tsar, mal inspiré pour les départemens civils, avait rencontré la forme de gouvernement la mieux adaptée aux besoins de son église. Le synode rappelait par certains côtés les conciles, qui dans l’orthodoxie orientale ont toujours joui de l’autorité suprême. D’après les canons de l’église, c’était à une assemblée de ce genre que, pendant la vacance de la chaire patriarcale, revenait l’administration ecclésiastique. Il n’y avait donc qu’à régulariser ce mode temporaire de gouvernement et à le rendre permanent. Après la mort du réformateur, quelques personnes songèrent à relever le patriarcat ; eût-il été relevé, qu’il n’eût pu rester debout. Il n’y a plus de place en Russie pour un