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s’écrie-t-il, est-ce qu’il n’y a pas de police à cette académie ? Est-ce qu’à défaut d’un commissaire aux tableaux qui empêchât cela d’entrer, il ne serait pas permis de le pousser à coups de pied le long du salon, sur l’escalier, dans la cour, jusqu’à ce que le berger, la bergère, la bergerie, l’âne, les oiseaux, la cage, les arbres, l’enfant, toute la pastorale fût dans la rue ? Hélas ! non : il faut que cela reste en place ; mais le bon goût indigné n’en fait pas moins la brutale, mais juste exécution[1]. »

Diderot n’eût pas commis de telles brutalités, alors même qu’elles eussent été permises. Quant à l’exécution idéale, elle doit être complète ; cette sotie est un mauvais livre. Artiste, historien, philosophe, M. Gustave Flaubert s’est tristement fourvoyé. Artiste, il a dessiné des paysages éclatans, buriné quelques ébauches vigoureuses, trouvé certains effets de style ; mais il n’a fait en somme qu’une œuvre confuse, embrouillée, sans perspective, précisément le contraire de l’art. L’enchevêtrement du récit avec le dialogue ajoute encore au tintamarre et au brouillamini, comme disait M. Jourdain. Il faut avoir le texte sous les yeux pour comprendre les intentions de l’auteur ; bien des scènes, si on les entend lire à haute voix, sont inintelligibles. Historien, M. Flaubert a dénaturé la physionomie des siècles et rapetissé les plus grandes choses. Montalembert, dans le premier volume de ses Moines d’Occident, Chateaubriand, dans le onzième livre des Martyrs, avaient décrit et expliqué les scènes de la Thébaïde avec une élévation digne du sujet ; l’auteur de la Tentation de saint Antoine, qui a lu comme eux les antiques documens de cette histoire, les a falsifiés à plaisir. Philosophe, il mêle les questions, il confond les systèmes, il répète sur l’infini et le fini des formules dont le sens vrai paraît lui échapper ; il méconnaît en toutes choses l’idée de l’ordre ; enfin il a le mépris de l’humanité parce qu’il a le dégoût du monde, non pas un dégoût sincère, douloureux, comme celui du sombre Schopenhauer, mais un dégoût de bel esprit qui aurait indigné le misanthrope de Francfort.

Le dégoût du monde et le mépris de l’humanité, tels que M. Flaubert les affiche, apparaissent nettement dans la conclusion de son livre. On a vu que le vieil ascète, sans succomber tout à fait, subit constamment des défaillances ; tout le trouble, tout l’attire et le séduit. Sa dernière chute est de vouloir renoncer à son âme, il envie les êtres qui n’ont pas à combattre, qui ne sont pas un esprit, une conscience, une personne, il aspire à l’anéantissement. les dernières divinités qu’il aperçoit sont les esprits des animaux, des végétaux, des minéraux, les feux follets de la vie inconsciente,

  1. Diderot, Salon de 1765.