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accompagner par un homme d’une valeur incontestable, Yacoub-beg, qui était alors kouchbeggi ou général des troupes khokandiotes. Ce Yacoub, Tajik par la naissance, — ce qui indique sans doute qu’il est d’une famille aryenne et non tartare, — était depuis longtemps déjà au service du khan de Khokand. On prétend qu’il vendit aux Russes en 1847 une partie du territoire d’Ak-medjid, dont il avait le commandement. Que ce soit vrai ou non, il est certain qu’il est audacieux et intelligent ; de plus il possède l’art de se faire aimer de ses compagnons. La haute dignité qu’il avait obtenue à Khokand ne le satisfaisait pas, car il voyait bien que ce khanat tombait sous la dépendance de la Russie. Il devint tout de suite le vrai chef des insurgés de Kachgar ; cette ville ne fut pas au reste une conquête facile. Les Chinois, renfermés dans la citadelle, ne se défendirent pas moins de seize mois. La plupart étaient morts de faim ; les survivans se suicidèrent plutôt que de se rendre, sachant que leurs ennemis ne feraient aucun quartier. En mars 1865, Yacoub-beg était maître de la place.

Le Turkestan oriental se trouvait alors partagé en presque autant de principautés qu’il y avait de grandes villes. Dans l’est, les Tounganes luttaient avec succès contre les mandarins ; mais au-delà d’Aksou la population turque ne voulait pas accepter leur suprématie. A Kachgar, Yacoub se déclarait indépendant ; Rachid-Oudin en disait autant à Yarkand, et Hubiboula à Khoten. Ce dernier eut un moment l’espoir d’obtenir la protection du vice-roi britannique, lorsqu’au mois d’octobre 1865 il eut la visite de M. Johnson, officier anglais, le premier Européen qui eût franchi le Karakorum depuis Adolphe Schlagintweit. Sir John Lawrence, fidèle à sa politique favorite d’abstention et d’ailleurs bien inspiré cette fois, ne daigna pas répondre aux propositions d’alliance que lui adressait ce souverain improvisé. En 1866, Yacoub soumit Yarkand et le pays environnant ; l’année d’après, il arrive avec son armée devant Khoten ; il invite Hubiboula à venir signer la paix dans son camp ; celui-ci s’y rend sans défiance et est aussitôt emprisonné, puis la ville est envahie par surprise. En moins de trois ans, cet officier de fortune était devenu maître de toute la Kachgarie entre les monts Thian-shan et le Kouenloun, et depuis le Boulor-Tagh jusqu’à Aksou. Il eut en outre l’adresse de se débarrasser de son prétendu protecteur, Buzurk-khan, qui partit pour La Mecque ou pour Bokhara, reconnaissant lui-même qu’il était incapable de régner. Depuis ce temps, les affaires de Yacoub-beg ont toujours prospéré. L’émir de Bokhara, qui malgré sa décadence reste le chef spirituel des mahométans orientaux, lui a décerné le titre d’athalik-ghazi, ou protecteur des fidèles. C’est le nom sous lequel il convient de le désigner à l’avenir. La Kachgarie n’est pas encore un état puissant par le