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nombre de ses habitans, mais son chef est un homme habile, c’est incontestable. Solidement établi au milieu des populations musulmanes que la conquête chinoise avait désagrégées, il peut s’étendre vers l’orient ; il n’a rien à craindre ni de l’Angleterre ni de la Russie, dont les montagnes le séparent. Cette création d’un nouveau royaume mahométan au cœur de l’Asie, sur les confins du Céleste-Empire, est un fait considérable dont on n’a peut-être pas assez tenu compte en Europe. Nous sommes trop enclins à croire que la religion de Mahomet est partout en décadence, Cette étude aura montré que l’islamisme, menacé en Europe, atteint au cœur de l’Asie par la conquête de Samarcande, se développe cependant avec une singulière vigueur sur les confins de la Chine, tandis que les Européens entament à peine le Céleste-Empire par Les bords de la mer orientale.

Ce n’est pas ici le lieu de dire quelle fut l’attitude des Russes en face de l’insurrection toungane et du nouveau royaume de Kachgarie ; ne nous occupons pour le moment que des rapports de Yacoub-beg avec l’Inde anglaise. Au nord du Pendjab s’ouvre la vallée de Cachemire, la plus belle qu’il y ait sur la terre, au dire des voyageurs. Sol fertile, climat salubre, population paisible et laborieuse, cette province est une possession enviable à tous égards ; notons en passant un fait curieux de géographie commerciale. Le Cachemire, si éloigné de nous et presque isolé au milieu de montagnes inaccessibles, a subi plus qu’aucun pays du monde le contre-coup de nos derniers désastres en raison de l’industrie de luxe qui fait sa richesse. Il a de plus le malheur de posséder un gouvernement détestable. Au moment de l’annexion du Pendjab, lord Dalhousie eut l’imprudence de laisser cette contrée sous la domination d’un souverain indigène en lui imposant pour seule condition de payer un tribut annuel au trésor britannique. Le maharajah de Cachemire gouverne comme tous ses pareils, pressurant son peuple, imposant aux caravanes des droits de douanes arbitraires. Peu jaloux de voir les Anglais s’immiscer dans ses affaires intérieures, il avait fait jadis un règlement pour limiter le nombre des étrangers qui pénétreraient dans ses états et fixer la durée de leur séjour. Toutefois de tels abus ne pouvaient durer toujours. Le lieutenant-gouverneur du Pendjab s’est interposé en ces derniers temps, et maintenant le commerce est mis à l’abri des exactions qui lui étaient précédemment imposées. Le consul anglais qui réside dans le Ladak depuis quelques années a réussi à rétablir les anciennes relations commerciales du Cachemire et par conséquent de l’Inde anglaise avec les pays situés au-delà des montagnes.

Ces relations commerciales ont, il est vrai, bien peu d’importance. Comment en pourrait-il être autrement ? Entre le Pendjab