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pour les punir « d’abandonner le droit chemin et les œuvres de justice, d’honorer les idoles et de fléchir le genou devant l’œuvre de leurs mains. » La sibylle les conjure de se corriger et de revenir au culte du Dieu véritable. Elle s’adresse surtout aux Grecs, à qui elle témoigne une sympathie particulière. « O Grèce, dit-elle, pourquoi as-tu mis ta foi en des chefs mortels, qui ne peuvent éviter de finir par la mort ? Pourquoi offres-tu de vains présens à des gens qui ne sont plus rien et sacrifies-tu à des idoles ? Qui t’a mis cette erreur dans l’esprit ? qui t’a poussée à te conduire ainsi et à t’éloigner de la face du grand Dieu ? » Heureusement l’idolâtrie et la corruption ne règnent pas dans le monde entier. Le Seigneur s’est réservé un peuplé dont la sibylle se plaît à célébrer les vertus. « Chez eux, dit-elle, on ne connaît pas l’avarice, qui engendre la guerre et la famine cruelle. Toutes choses y sont réparties avec une juste mesure dans les champs et dans les villes. Ils ne se livrent pas entre eux à des larcins nocturnes, ils ne s’entre-volent pas les troupeaux de bœufs, de brebis ou de chèvres. Le voisin n’arrache pas la borne du champ de son voisin, le riche ne tracasse pas le pauvre et n’opprime pas la veuve ; au contraire, il leur vient en aide par des dons continuels de froment, de vin et d’huile. Toujours l’homme opulent garde une part de la moisson pour ceux qui ne possèdent rien : ainsi accomplissent-ils la parole du grand Dieu, inscrite dans les chants de la loi. » Il me semble qu’on sent à ces beaux éloges le plaisir que prend un Juif obscur à se relever lui-même et sa race en face de ces païens qui l’insultent. Cependant ce peuple choisi n’a pas toujours été fidèle et heureux ; il a quelquefois méconnu la loi du Seigneur, et « le malheur l’a visité, » mais le temps de sa délivrance et de sa domination approche. La sibylle en fixe l’époque avec précision : c’est quand régnera sur l’Égypte le septième roi de la dynastie macédonienne, c’est-à-dire au moment même où chante le poète, que l’idolâtrie doit finir et le règne de Dieu commencer sur la terre. Ce grand événement sera précédé par des calamités terribles que la sombre imagination du prophète se plaît à décrire. Il montre « la terre, qui produit tout, secouée par la main de l’Immortel. Les poissons de la mer, les quadrupèdes, les familles innombrables des oiseaux, les âmes des hommes frissonnant sous sa face ; les grottes, dans les montagnes élevées, pleines de cadavres, les remparts solidement construits tombant d’eux-mêmes et laissant les hommes infortunés sans défense, parce qu’ils ont méconnu la loi et le jugement de Dieu ; enfin la plainte et la clameur des mourans s’élevant de la terre immense ; puis tous, muets, étendus, baignés dans leur sang, devenant la proie des bêtes féroces, qui se rassasient de leur chair. »