Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malgré leur défiance des mœurs étrangères, la civilisation grecque les avait charmés ; ils quittèrent peu à peu leur vieille langue pour celle qu’on parlait à la cour des Ptolémées, ils lurent Homère et Platon, et même ils s’exercèrent à les imiter. Au fond pourtant ils étaient restés Juifs. Invinciblement attachés au culte de leurs pères, ils avaient horreur des idoles et n’entraient pas dans les temples. Les railleries cruelles des Grecs et cette sorte d’abaissement où on les tenait ne les empêchaient pas de se regarder comme la nation choisie, de conserver dans leur âme l’orgueil d’être les seuls à connaître et à prier le vrai Dieu, et l’assurance qu’un jour tous les peuples de la terre partageraient leur croyance. Quand la pauvre Judée, attaquée dans sa foi par le roi de Syrie, osa lui résister, quand les Macchabées parvinrent, à force d’héroïsme, à chasser l’étranger et à restaurer dans Jérusalem le culte national, les Juifs d’Égypte applaudirent de tout leur cœur à la victoire de leurs frères. Quelques-uns, émus par ce grand succès qui confirmait leurs anciennes espérances, s’étaient demandé si les temps prédits tant de fois par les prophètes n’étaient pas venus, si Dieu n’allait pas enfin se manifester, détruire ses ennemis et établir sur le monde la domination de son peuple. Il y en eut qui, dans la plénitude de leur espoir, chantèrent d’avance l’événement qu’ils croyaient prochain. Pour en hâter la venue, ils eurent l’idée de s’adresser aux Grecs qui les entouraient, de les exhorter à renoncer à leurs idoles et à se convertir au vrai Dieu. comme ils pensaient bien que, présentées en leur nom, ces exhortations ne produiraient pas un grand effet, ils n’hésitèrent pas à inventer d’anciennes prophéties en annonçaient les temps nouveaux. S’ils avaient eu des Juifs à convaincre, ils auraient fait parler Isaïe ou Daniel ; pour se faire écouter des Grecs, ils choisirent naturellement des prophétesses qui jouissaient auprès d’eux de beaucoup de crédit. De tout temps, les vieilles sibylles avaient été fort populaires dans la Grèce et en Italie, on pensa que les vérités qu’on voulait apprendre aux païens seraient mieux accueillies dans leur bouche, et l’on fabriqua sans scrupule de faux oracles sibyllins.

Le plus ancien de ces oracles porte sa date avec lui : on reconnaît à des indices certains qu’il est contemporain du triomphe des Macchabées. L’auteur, qui connaît l’histoire et la mythologie des Grecs, et qui a lu Hésiode en même temps que la Bible, fait d’abord un tableau des différens âges du monde, dans lequel il est question à la fois de la tour de Babel et des Titans, de Jéhovah et de Jupiter, des Israélites et de la Grèce. Il y insiste sur les misères qui ont accablé la race des hommes, et sur celles qui la menacent dans l’avenir : ces fléaux dont ils souffrent sont envoyés par Dieu