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étaient en train d’aboutir, et le vice-chancelier russe se prêtait à toutes les habiletés diplomatiques qui, selon le désir du cabinet des Tuileries, devaient pousser l’empereur François-Joseph à la déclaration de la guerre. Le nouveau plénipotentiaire de la Prusse près la cour de Saint-Pétersbourg n’eut pas un moment de doute sur la conduite que son gouvernement devait tenir dans des occurrences si propices. C’est de ce temps (12 mai 1859) que date sa dépêche confidentielle à M. de Schleinitz, où il recommandait la rupture avec le Bund, le procédé radical par le fer et le feu, ferro et igne. Il avait fait l’année précédente un voyage à Paris, il avait eu l’occasion de s’aboucher avec l’empereur des Français et de reconnaître ses bonnes dispositions pour la Prusse, les vœux étonnans qu’on faisait aux Tuileries pour la grandeur et la prospérité de la patrie de Frédéric II et de Blücher. Au mois de novembre de cette même année 1858, Napoléon III avait chargé le marquis Pepoli, alors en route pour Berlin, de bien représenter au Hohenzollern tous les avantages qu’il trouverait dans une rupture avec l’Autriche : « En Allemagne, avait dit l’empereur des Français, l’Autriche représente le passé, la Prusse représente l’avenir ; en s’enchaînant à l’Autriche, la Prusse se condamne à l’immobilité ; elle ne peut s’en contenter : elle est appelée à une plus haute fortune ; elle doit accomplir en Allemagne les grandes destinées qui l’attendent et que l’Allemagne attend d’elle[1]. » Ainsi pensait le futur prisonnier de Wilhemshöhe à la veille de Magenta et de Solferino, et « son excellence le lieutenant » ne trouvait certes rien à objecter contre un si magnifique programme ; mais ces bons ministres de l’ère nouvelle à Berlin n’avaient malheureusement pas la moindre notion du « droit nouveau, » et il ne fut pas jusqu’au prince-régent lui-même, qui ne parlât encore que de conquêtes purement morales. On était même à se demander à Potsdam si l’on ne devait pas assister l’Autriche, si l’on n’avait pas d’obligations fédérales envers l’empereur François-Joseph ! .. Le Samson de la Marche se débattit en vain dans les liens que lui imposaient les « Philistins de la Sprée, » et la guerre d’Italie devint sa Dalila : c’est de cette époque en effet que date la calvitie tant renommée du chancelier actuel d’Allemagne.

Il est intéressant d’étudier dans les lettres intimes à Malvina l’état d’esprit de M. de Bismarck pendant ces années 1859-1860. Au commencement des hostilités, et désespérant évidemment de voir son gouvernement adopter la ligne de conduite qu’il n’avait cessé de lui recommander, il quitte son poste, s’en va à Moscou visiter le Kremlin, passe une journée agréable dans une villa, d’autant plus

  1. Massari, Il conte Cavour, p. 208.